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Le docteur Henri Gagnon, son grand-pè re «Tout mon malheur peut se ré sumer en deux mots: jamais on ne m'a permis de parler à un enfant de mon â ge. Et mes parents (…) m'honoraient d'une attention continue. Pour ces deux causes, à cette é poque de la vie si gaie pour les autres enfants, j'é tais mé chant, sombre, dé raisonnable…1.» C’est ainsi que Stendhal ré sumera son enfance dans Vie de Henry Brulard. Ché rubin Beyle, son pè re Henri Beyle naî t le 23 janvier 1783 rue des Vieux Jé suitesN 1 à Grenoble, fils de Ché rubin Beyle, avocat consistorial, et d'Henriette Gagnon. Il avouera dans son autobiographie, Vie de Henry Brulard: «(À six ans) j'é tais amoureux de ma mè re. […] Je voulais couvrir ma mè re de baisers et qu'il n'y eû t pas de vê tements. Elle m'aimait à la passion et m'embrassait souvent, je lui rendais ses baisers avec un tel feu qu'elle é tait souvent obligé e de s'en aller. J'abhorrais mon pè re quand il venait interrompre nos baisers2.» Elle meurt en couche le 23 novembre 1790, alors qu'il a sept ans. «Là commence ma vie morale3», dira Henri. Fou de chagrin, il ne peut pleurer. Sa tante Sé raphie lui reproche son insensibilité. On lui explique qu'il s'agit de la volonté divineN 2. Il en deviendra athé e. Le jeune Henri a peu d’estime pour son pè re, avocat au Parlement de Grenoble, homme taciturne, pieux, hypocrite, bourgeois qui ne pensait qu’à ses affaires financiè res. Le pré cepteur qu'on lui donne, l'abbé Raillane, va dé té riorer leurs rapports: «Je haï ssais l'abbé, je haï ssais mon pè re, source des pouvoirs de l'abbé, je haï ssais encore plus la religion au nom de laquelle ils me tyrannisaient4.» Entre son pè re, sa tante Sé raphie, «ce diable femelle5» et l'abbé Raillane, «ennemi juré de la logique et de tout raisonnement droit6», qui l'empê che d'aller se baigner avec les autres enfants par peur de la noyade, le jeune Henri passe une enfance malheureuse atté nué e par la pré sence bienveillante de son grand-pè re maternel, Henri Gagnon, mé decin cé lè bre de Grenoble, homme des Lumiè res, «extrê mement aimable et amusant7», qui l'initie à la litté rature: Moliè re, Fé nelon, Voltaire, Horace, Ovide, Dante, Le Tasse, Cervantè s… Sa maison place Grenette, avec sa terrasse ensoleillé e, (voir appartement du docteur Gagnon) devient l'antithè se de celle de son pè re, «é troite, sombre, humide8» et, de maniè re gé né rale, Henri voit dans les valeurs des deux branches de sa famille deux mondes que tout oppose: «Le cô té Beyle, c'est le pouvoir, l'avarice, l'insensibilité, l'ombre, le froid, la tristesse, le pé dantisme, la vanité, […] l'affection des parents et les «dangers de la liberté». Contre eux (les Gagnons), la culture, la gaieté, la lumiè re, le plaisir, la beauté, la tendresse, la gé né rosité et la fierté, la folie des chimè res, rattaché s à cette «Italie» dont l'enfant se persuade qu'elle est la patrie des Gagnons […]9.» La Journé e des Tuiles à Grenoble Le jeune Henri Beyle à l'Ecole Centrale de Grenoble, dessin par Jay Le 7 juin 1788, le jeune Henri assiste à la Journé e des Tuiles du balcon de son grand-pè re, qui annonce les journé es ré volutionnaires de 1789. Par aversion pour la tyrannie familiale et la religion, Henri se sent «ré publicain enragé 10.» Sa famille est horrifié e de l'exé cution de Louis XVI, lui, exulte. À l'arrivé e des repré sentants du peuple, son pè re, considé ré comme suspect, est incarcé ré durant presque un an. Au printemps 1794, un «Bataillon de l'Espé rance» est cré é par les Jacobins de Grenoble. Il veut les rejoindre, é crit une fausse lettre officielle, est dé couvert et grondé. En aoû t 1794, il est dé livré de l'abbé Raillane qui, ayant refusé de prê ter serment, doit s'enfuir, puis, en 1797, c'est sa tante Sé raphie qui meurt. Il se sent enfin libre. Le 21 novembre 1796, à treize ans, il entre à l'É cole Centrale de Grenoble, é cole cré é e par la Ré volution pour remplacer les collè ges religieux. Il s'y fait, enfin, des camarades de son â ge et se passionne pour les mathé matiques, science logique par excellence. À l'automne 1798, il fait un coup d'é clat avec ses camarades: ils tirent au pistolet sur l'arbre de la Fraternité. L’adolescence est l’â ge des premiers é mois où la dé couverte de l’amour se mê le à celui de la musique: il s'é prend d'une comé dienne, Virginie Kubly, membre d'une troupe itiné rante, qui joue dans des piè ces ou des opé ras. Amoureux fou, il essaye divers instruments de musique et le chant, sans succè s. C'est grâ ce à un prix en mathé matique qu'il peut fuir Grenoble en octobre 1799, à seize ans, pour tenter d’entrer à l'É cole Polytechnique à Paris. À Paris, 1799-1800 Pauline Beyle, sa sœ ur, son amie, sa confidente, son é lè ve… Henri arrive à Paris au lendemain du coup d’é tat du 18 brumaire an VII (9 novembre 1799). Il est au dé but un opposant à Bonaparte et à l'Empire, qu'il raille dans son Journal, et auquel il ne se rallie que plus tard11. C'est en ré é crivant sa vie qu'il se pré tend plutô t «enchanté que le jeune gé né ral Bonaparte se fit roi de France12.» Il loge prè s de l’É cole Polytechnique, alors installé e rue de l’Université, puisqu’il doit y passer le concours d'entré e. Mais son vrai projet intime, est «d’ê tre un sé ducteur de femme13» et d’é crire des comé dies. Trè s gauche, il se pré sente à son cousin Noë l Daru, et à ses fils Pierre, secré taire gé né ral au Ministè re de la Guerre, et Martial, qui «n’avait ni tê te ni esprit, mais un bon cœ ur14.» Pierre Daru, le cousin colé rique et bienveillant à la fois. Dans la solitude de sa petite chambre prè s des Invalides, il dé chante. Il n’a nulle envie d’entrer à l’É cole Polytechnique et Paris le dé goû te, à s’en rendre malade: «La boue de Paris, l’absence de montagnes, la vue de tant de gens occupé s passant rapidement dans de belles voitures à cô té de moi connu de personne et n’ayant rien à faire me donnaient un chagrin profond15.» Sa maladie s'aggrave, il est alité, fié vreux, dé lirant, perd ses cheveux… son cousin Noë l Daru lui envoie un bon mé decin puis le fait venir auprè s de lui, dans son hô tel particulier de la rue de Lille. Lorsque Henri a repris des forces il essaye d'é crire des comé dies, mais doute, hé site avec l'Opé ra alors qu'il ne connaî t pas les notes, n'arrive à rienN 3… Les repas chez les Daru le mettent au supplice, par manque d'habitude des convenances, par timidité, il n'ouvre pas la bouche, et se dé ç oit lui-mê me: «Qu'on juge de l'é tendue de mon malheur! moi qui me croyais à la fois un Saint-Preux et un Valmont […], moi qui, me croyant une disposition infinie à aimer et ê tre aimé, croyais que l'occasion seule me manquait, je me trouvais infé rieur et gauche en tout dans une socié té que je jugeais triste et maussade, qu'aurait-ce é té dans un salon aimable16!». Il multiplie les maladresses, les Daru se demandent s’il est imbé cile ou fou17. Durant toute cette pé riode il é crit abondamment à sa jeune sœ ur Pauline, sa confidente et son é lè ve. Il essaye de former son esprit, lui conseille de lire, d’apprendre l’Histoire, l’arithmé tique, l’orthographe, plutô t que de faire des travaux d’aiguille ou de fré quenter les religieuses18. Il ne sait que ré pondre à Noë l Daru qui le presse de faire quelque chose, au moins se pré parer à passer le concours de Polytechnique de la saison suivante, pour finir par lui imposer, en fé vrier, d’aller travailler sous les ordres de son fils Pierre au Ministè re de la Guerre qui est en train de pré parer Marengo. Il se rê vait Don Juan ou auteur de comé die à succè s, il se retrouve secré taire. Les dé buts se passent mal: son é criture est illisible, il fait des fautes (il é crit cella au lieu de cela), met trop de «en effet» dans ses lettres, est terrorisé par son cousin, qu’il surnomme le bœ uf furibond: «Tout le monde à la Guerre fré missait en abordant le bureau de M. Daru; pour moi, j'avais peur rien qu'en regardant la porte19.». Ses souffrances prennent fin le 7 mai 1800. Il doit rejoindre la grande Armé e avec Pierre et Martial Daru en Italie.
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