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L’Homme aux semelles de vent






La belle saison revenue, Arthur Rimbaud quitte à nouveau Charleville en 1877. Son entourage et ses amis peinent à suivre son itiné raire durant cette anné e. Les seules sources de renseignements, souvent contradictoires, viennent de son ami Ernest Delahaye et de sa sœ ur Isabelle.

Seule certitude: sa pré sence à Brê me où il a ré digé une lettre en anglais le 14 mai, au consul des É tats-Unis d’Amé rique. Lettre signé e John Arthur Rimbaud, et dans laquelle il demande «à quelles conditions il pourrait conclure un engagement immé diat dans la Marine amé ricaine», en faisant valoir sa connaissance des langues anglaise, allemande, italienne et espagnole28.

Il ne reç ut apparemment pas de ré ponse favorable car, selon Delahaye, il se serait rendu à Cologne puis à Hambourg, pour divers projets inaboutis29.

Le 16 juin, ce dernier é crit à Verlaine: «Du voyageur toqué pas de nouvelles. Sans doute envolé bien loin, bien loin…» Le 9 aoû t, le mê me é pistolier informe son ami Ernest Millot «qu’il a é té signalé derniè rement à Stockholm, puis à Copenhague, et pas de nouvelles depuis.

Dix-neuf ans plus tard, Delahaye rapportera dans une lettre à Paterne Berrichon, du 21 aoû t 1896, qu’à Hambourg, Arthur s’engagea «dans la troupe du cirque Loisset, comme interprè te, il passa ainsi à Copenhague, puis à Stockholm d’où rapatrié par consul franç ais30».

Pour sa part, Isabelle Rimbaud, ré futera l’é pisode du cirque mais citera un emploi dans une scierie en Suè de dans une lettre du 30 dé cembre 189631 à Paterne Berrichon, qu'elle é pousera ensuite. Isabelle ré vè lera é galement que son frè re «visita les cô tes du Danemark, de la Suè de et de la Norvè ge, puis revint par mer jusqu’à Bordeaux, sans passer le moins du monde par Hambourg32».

Aprè s une halte à Charleville, Rimbaud se rend à Marseille en septembre où il embarque pour Alexandrie en É gypte. Pris de douleurs gastriques, peu aprè s le dé but de la traversé e, il est dé barqué à Civita-Vecchia, en Italie. Retour à Marseille et direction les Ardennes pour y passer l’hiver.

Vers cette pé riode, Vitalie Rimbaud habite à Saint-Laurent, dans une proprié té hé rité e de sa famille (les Cuif).

Si l’on fait abstraction d’hypothé tiques té moignages (voyage à Hambourg et pé riple en Suisse pour Berrichon33, «vu dans le quartier latin, vers Pâ ques» par un ami d’Ernest Delahaye34…), Les neuf premiers mois de l’anné e 1878 ne sont pas plus riches de renseignements fiables que ceux de l’anné e pré cé dente.

En avril, les fermiers de Roche ne dé sirant pas renouveler leur bail, Vitalie Rimbaud s’installe dé finitivement dans la ferme pour la diriger.

Fin juillet, Ernest Delahaye é crit: «L'homme aux semelles de vent est dé cidé ment lavé. Rien de rien35.»

Pourtant, Arthur revient et participe aux moissons auprè s de son frè re Fré dé ric, de retour de ses cinq anné es d’armé e.

Le 20 octobre, jour de ses vingt-quatre ans, Rimbaud reprend la route; passe les Vosges, franchit le Saint-Gothard sous la neige, traverse l’Italie jusqu’à Gê nes.

Le dimanche 17 novembre, dans un dernier é lan litté raire, il dé crit les pé ripé ties de son pé riple dans une longue lettre à sa famille. Le mê me jour, son pè re meurt à Dijon.

Le 19 novembre, Rimbaud s'embarque pour Alexandrie. Arrivé vers le 30 novembre, il se met à chercher du travail. Un ingé nieur franç ais, lui propose de l'employer sur un chantier situé sur l’î le anglaise de Chypre. Pour conclure l'affaire, il demande un indispensable certificat de travail à sa mè re (lettre é crite d’Alexandrie, en dé cembre 1878).

Le 16 dé cembre, le voilà chef de chantier à 30 kilomè tres à l’est du port de Larnaca, dans l'entreprise Ernest Jean & Thial fils. Chargé de diriger l’exploitation d’une carriè re de pierres, il tient les comptes et s’occupe de la paie des ouvriers (lettre à sa famille du 15 fé vrier 1879).

En 1879, atteint de fiè vres (paludisme?), il quitte Chypre muni d’une attestation de travail, daté e du 28 mai36. En convalescence à Roche, il se ré tablit suffisamment pour apporter son aide aux moissons d’é té.

Aprè s une ultime visite de son ami Delahaye en septembre, Arthur n’attend pas la saison froide et part avec l’intention de retourner à Alexandrie.

Repris par un accè s de fortes fiè vres à Marseille, il se ré sout à passer l’hiver dans sa famille – hiver qui se ré vé lera particuliè rement rigoureux.

Sa santé recouvré e en mars 1880, le voilà de nouveau à Alexandrie. Ne trouvant pas d’emploi, il dé barque à Chypre. Ses anciens employeurs ayant fait faillite, il ré ussit à dé crocher un travail de surveillant dans un chantier de construction. Il s'agit de la future ré sidence d'é té du gouverneur anglais, que l'on bâ tit au sommet des monts Troodos37(lettre aux siens, du 23 mai 1880).

À la fin du mois de juin, Arthur Rimbaud quitte l’î le «aprè s des disputes […] avec le payeur gé né ral et [son] ingé nieur.» (lettre aux siens du 17 aoû t 1880). Rendu dans le port d'Alexandrie, Rimbaud n'envisage plus de retour en France.

Entre la Corne de l'Afrique et l'Arabie

Carte sché matique (au 1: 9.300.000) des itiné raires de Rimbaud en É thiopie (1880-1891)

«L'air marin brû lera mes poumons, les climats perdus me tanneront.» Une saison en Enfer.

Aden

L’explorateur É douard-Henri Lucereau (debout à gauche) et, sous toutes ré serves, Arthur Rimbaud (2e en partant de la droite) sur le perron du Grand Hô tel de l’Univers à Aden, en 1880.

Aprè s avoir navigué au long du canal de Suez jusqu’en mer Rouge, en cherchant du travail dans diffé rents ports: Djeddah, Souakim, Massaouah (lettre à sa famille du 17 aoû t 1880)... À Hodeidah, au Yé men, où il tombe à nouveau malade, il rencontre Tré buchet, un repré sentant d’une agence marseillaise importatrice de café. Constatant qu’il connaî t suffisamment la langue arabe, ce dernier lui conseille de se rendre à Aden en le recommandant à P. Dubar, un agent de la maison Mazeran, Viannay, Bardey et Cie.

L’exportation de café connaissait un commerce florissant grâ ce à quoi le port de transit de Moka avait connu son heure de gloire avant qu’il soit supplanté par Hohdeidah.

Aprè s avoir dé barqué à Steamer Point, le port franc anglais d’Aden, Arthur Rimbaud entre en contact avec Dubar, adjoint d’Alfred Bardey (parti explorer le continent africain pour implanter une succursale). Aprè s quelques jours d’essai, Rimbaud est embauché le 15 aoû t 1880 comme surveillant du tri de café.

«Aden est un roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne: on boit de l’eau distillé e. La chaleur y est excessive.» (lettre à sa famille du 25 aoû t 1880).

Ayant le sentiment de se faire exploiter, Rimbaud compte partir à Zanzibar ou sur les cô tes d’Abyssinie aprè s avoir gagné suffisamment d’argent (lettre à sa famille du 22 septembre 1880). Revenu en octobre, Bardey lui propose de seconder Pinchard, l’agent du comptoir qu’il vient d’é tablir au Harar, une ré gion d’É thiopie colonisé e par les É gyptiens. Un contrat de trois ans est signé le 10 novembre.

Accompagné du Grec Constantin Rhigas, un employé de Bardey, la traversé e du Golfe d’Aden se fait les jours suivants.

Premier sé jour au Harar

En terres africaines, Rimbaud et son acolyte forment une caravane pour transporter des marchandises pour le Harar. Ils doivent parcourir trois cent cinquante kilomè tres: traverser le territoire des Issas – ré puté s belliqueux – puis entrer dans celui des Gallas où les attaques ne seront plus à craindre.

Les portes de la cité fortifié e de Harar sont franchies en dé cembre «aprè s vingt jours de cheval à travers le dé sert somali» (lettre à sa famille du 13 dé cembre 1880), ils sont accueillis dans l’agence Bardey par l’agent Pinchard et un autre employé Grec, Constantin Sotiro.

La tenue des comptes et la paie des dé marcheurs lui sont impartis. Le 15 fé vrier 1881 il relate aux siens en quoi consiste le commerce: «[des] peaux […], du café, de l’ivoire, de l’or, des parfums, encens, musc, etc.», leur fait part de ses dé ceptions: «je n’ai pas trouvé ce que je pré sumais […] Je compte trouver mieux un peu plus loin». Se plaint aussi d’une maladie qu’il aurait «pincé e».

En mars, Pinchard, atteint de paludisme, s’en va. Rimbaud assure l’inté rim du comptoir jusqu’à l’arrivé e d’Alfred Bardey. Bardey arrive avec l’idé e d’ouvrir un magasin de produits manufacturé s. Ainsi, les indigè nes venant vendre leur ré colte de café dé pensent leur argent en achetant toutes sortes d’ustensiles.

Arthur Rimbaud ayant toujours des vellé ité s de fuites (Zanzibar, Panamá 38), son patron l’envoie faire des expé ditions commerciales à partir du mois de mai. Ces campagnes dans des ré gions jamais exploré es par les Europé ens, pour des trocs de cotonnades et bibelots contre peaux ou autres s’avè rent risqué es et peu rentables.

Revenu é puisé à chaque fois, Rimbaud est à nouveau frappé de fiè vre tout l’é té.

Le 22 septembre, dé ç u de n’avoir pas é té promu directeur de l’agence, il annonce à sa famille qu’il a «donné [sa] dé mission, il y a une vingtaine de jours». Cependant, son contrat s’achè ve dans deux ans...

Suite aux missives qu’il reç oit de Roche, concernant sa pé riode militaire qui n’est pas ré glé e et pour pallier d’é ventuelles difficulté s qu’il rencontrerait pour se rendre dans d’autres pays, il fait valoir sa situation auprè s du consul de France à Aden.

De son cô té, Alfred Bardey part pour le siè ge Lyonnais de la socié té aux environs du dé but octobre. Le frè re de celui-ci devant venir le remplacer, Rimbaud gè re à nouveau le comptoir en l’attendant.

Pierre Bardey arrivé, Rimbaud quitte Harar en dé cembre.

Aprè s le retour d’Arthur Rimbaud à la factorerie d’Aden, c’est au tour d’Alfred Bardey de revenir en fé vrier 1882 suite au dé part de P. Dubar pour la France (Lyon). Rimbaud en vient donc à seconder son patron durant toute l'anné e. En septembre il commande tout le maté riel né cessaire pour faire des photographies car il compte partir pour le Choa, en Abyssinie afin de ré aliser un ouvrage sur cette contré e inconnue avec cartes, gravures et photographies et le soumettre à la Socié té de gé ographie de Paris dont Alfred Bardey est membre. Ce projet ne verra pas le jour car, à dé faut de Choa, un retour au Harar est pré vu pour janvier 1883; il l’annonce à sa famille le 3 novembre.

Le dé but de l’anné e 1883, est marqué par une rixe entre Rimbaud et un magasinier indigè ne qui lui manque de respect. Ce dernier porte alors plainte pour coups et blessures.

Rimbaud é vite la condamnation grâ ce à l’intervention du vice-consul, à qui il avait aussitô t é crit pour ré sumer les faits et solliciter sa protection (lettre à Monsieur de Gaspary, vice-consul de France à Aden, du 28 janvier 1883). De plus, son patron se porte garant de son comportement à venir. Son contrat — finissant en novembre — est renouvelé jusqu’à fin dé cembre 1885 et son prochain dé part pour Zeilah, est fixé pour le 22 mars (lettre à sa famille du 20 mars 1883).

Deuxiè me sé jour au Harar

Autoportrait en pied de Rimbaud au Harar, «dans un jardin de bananes», en 1883.

Arrivé à Harar en avril, Rimbaud remplace Pierre Bardey, destiné à succé der à son frè re à Aden.

Dans une lettre é crite le 6 mai à sa famille, il formule quelques ré flexions sur sa vie actuelle, son avenir. Il songe à se marier, à avoir un fils39. Il joint aussi ses premiers travaux photographiques: trois portraits en pied de lui-mê me.

Secondé par Constantin Sotiro, Rimbaud prend l’initiative de l’envoyer explorer l’Ogadine dont il transcrira les notes à son retour (en aoû t) pour en ré diger un texte descriptif que Bardey expé diera à la Socié té de gé ographie de Paris.

Intitulé Rapport sur l’Ogadine, par M. Arthur Rimbaud, agent de MM. Mazeran, Viannay et Bardey, à Harar (Afrique orientale), ce mé moire, dans lequel les mé rites de Sotiro sont quelque peu occulté s, sera publié par la Socié té de gé ographie en fé vrier 1884 et sera appré cié par les gé ographes franç ais et é trangers40.

À Paris, Verlaine publie une é tude accompagné e de poè mes sur le poè te Rimbaud, dans la revue Lutè ce du 5 octobre au 17 novembre. Cette é tude paraî tra l’anné e suivante dans l’ouvrage Les Poè tes maudits.

Au Harar, plusieurs caravanes de marchandises sont organisé es jusqu’au moment où les ré percussions de la guerre des Mahdistes, contre les occupants É gyptiens et les Anglais obligent la socié té à abandonner le comptoir de Harar.

L’é vacuation de la cité est organisé e par le gouverneur d’Aden, le major Frederick Mercer Hunter, arrivé en mars, à la tê te d’une colonne d’une quinzaine de soldats. L’officier britannique, insatisfait de l’hé bergement offert par le pacha d’É gypte, provoque un scandale en pré fé rant loger dans la maison de Rimbaud41.

Le retour pour Aden se fait en compagnie de Djami Wadaï, son jeune domestique abyssin, et de Constantin Sotiro42.

La socié té Mazeran, Viannay, Bardey et Cie tombé e en faillite, Rimbaud est licencié et se retrouve sans travail. Cependant, «selon les termes de [son] contrat, [il a] reç u une indemnité de trois mois d’appointements, jusqu’à fin juillet.» et espè re la ré ussite de Bardey, parti en France «pour rechercher de nouveaux fonds pour continuer les affaires» (lettre aux siens du 5 mai 1884). Pendant cette pé riode de dé sœ uvrement, il vit avec une Abyssine chré tienne, pré nommé e Mariam43.

Le 1er juillet, il est engagé jusqu’au 31 dé cembre 1884 dans la nouvelle socié té cré é e par les frè res Bardey, «aux mê mes conditions»44. Les mois passent et les affaires ne sont pas brillantes — ruiné es par la politique mené e par les Anglais. Arthur Rimbaud va avoir vingt-neuf ans et sent qu’il se fait «trè s vieux, trè s vite, dans ces mé tiers idiots» (lettre aux siens du 10 septembre 1884), aussi cherche t-il une occasion pour changer d’emploi.

Faute de mieux, le 10 janvier 1885, il se rengage pour un an avec la maison Bardey45. Malgré la poursuite de l’offensive anglo-é gyptienne au Soudan, Rimbaud continue donc à s’occuper des achats et des expé ditions du moka. Sans aucun jour de congé, il supporte à nouveau la chaleur é touffante de l’endroit et souffre de fiè vre gastrique.

Trafic d’armes au Choa

En septembre 1885, Arthur Rimbaud se voit proposer un marché par le franç ais Pierre Labatut, un trafiquant é tabli au Choa, royaume abyssin de Mé né lik II. Voyant là l’opportunité de faire fortune, et de changer le cours de sa vie tout en ayant un rô le gé o-politique à jouer, il n’hé site pas à s’associer avec lui pour acheter des armes (plutô t dé passé es) et des munitions en Europe. Ainsi ils comptent ré aliser de substantiels bé né fices en satisfaisant une commande du monarque, (qu'ils auront de cette faç on contribué à é tablir comme unificateur de la ré gion). Aprè s avoir conclu cet accord, Arthur rompt brutalement le contrat qui le lie avec la Maison Bardey46. Quant à Mariam, elle est renvoyé e dans son pays avec quelques Thalers en poche.

Abyssinie: les itiné raires de Tadjourah à Ankober et d’Ankober à Harar sont visibles dans la partie infé rieure droite (cartographie anglaise de 1891).

Fin novembre, Rimbaud dé barque dans le petit port de Tadjourah, en terre Dankalie, pour monter une caravane en attendant que les armes soient ré ceptionné es à Aden par Labatut. Lorsque ce dernier arrive fin janvier 1886 avec le chargement (deux mille quarante fusils et soixante mille cartouches), l’organisation de la caravane rencontre des difficulté s. D’abord entravé s par les exigences financiè res du sultan qui tire profit de tous convois en partance, les voilà empê ché s d’entamer leur expé dition à la mi-avril: l’interdiction d’importer des armes vient d’ê tre signé e entre Anglais et Franç ais. Les deux associé s é crivent alors au ministre des Affaires é trangè res le 15 avril pour se sortir de cette impasse47. Ils obtiennent gain de cause mais tout est remis en question quand Labatut, atteint d’un cancer, est obligé de rentrer en France (il mourra en octobre suivant)48.

Muni d’une procuration de Pierre Labatut, Rimbaud se tourne vers Paul Soleillet, cé lè bre commerç ant et explorateur, qui lui aussi attend une autorisation pour faire partir sa caravane. En associant leurs convois, ils s'assurent d'une meilleure sé curité pour la traversé e du territoire des redoutables guerriers Danakils. Hé las, ils ne partiront pas ensemble: frappé d’une embolie, Soleillet meurt le 9 septembre.

Se retrouvant seul, Rimbaud part en octobre, à la tê te de sa caravane composé e d’une cinquantaine de chameaux et d’une trentaine d’hommes armé s. La route pour le Choa est trè s longue: deux mois de marche jusqu'à Ankober.»49.

Sur ces entrefaites, en France, Illuminations et Une saison en Enfer sont parus dans les numé ros de mai à juin et de septembre de la revue symboliste La Vogue.

Aprè s avoir traversé, les terres arides des tribus danakils sous une chaleur implacable, le convoi franchit la frontiè re du Choa sans avoir é té attaqué par les pillards. Et c’est dans un environnement verdoyant que la caravane atteint Ankober le 6 fé vrier 1887. Rimbaud y trouve l’explorateur Jules Borelli. Mé né lik est absent; parti combattre l’é mir Abdullaï pour s’emparer d’Harar. Rimbaud aussitô t arrivé, les chameliers, un cré ancier de Labatut et la veuve abyssinienne de ce dernier, viennent lui ré clamer avec insistance ce qui leur est soi-disant dû. Agacé par leur rapacité, il refuse de cé der à leurs demandes. Ils s’en plaignent auprè s de l’intendant du roi qui abonde en leur sens et le condamne à verser les sommes demandé es.

Au lieu d’Ankober, Mé né lik va revenir en vainqueur à Entoto. Rimbaud se rend là bas avec Borelli. Sur place, en attendant l’arrivé e du roi, Rimbaud entre en contact avec son conseiller, un ingé nieur Suisse nommé Alfred Ilg avec qui il entretient de bons rapports.

Suivi de sa colonne armé e, Menelik arrive triomphalement le 5 mars. Il n’a plus vraiment besoin d’armes ni de munitions, car il en ramè ne en grande quantité. Il accepte né anmoins de né gocier le stock à un prix trè s infé rieur à celui escompté. De surcroî t, il ne se prive pas d’exploiter la disparition de Labatut à qui il avait passé commande, pour retrancher du prix la somme de quelques dettes supposé es. Suivant cet exemple, «toute une horde de cré anciers» (ré els ou opportunistes) de Labatut, viennent le harceler pour ê tre remboursé s à leur tour 50. Menelik n’ayant pas d’argent pour le payer, Rimbaud est contraint d’accepter un bon de paiement devant lui ê tre ré glé à Harar par le ras Makonnen, cousin du roi.

Pour qu’il aille au plus court pour toucher son argent, Menelik lui donne l’autorisation de prendre la route qu’il a ouverte à travers le pays des Itous. Cette route é tant inexploré e, Borelli demande au roi la permission de l’emprunter. Rimbaud quitte donc Entoto le 1er mai, en compagnie de Borelli. L’itiné raire traverse des ré gions inexploré es. Leurs observations et descriptions sont scrupuleusement relevé es et consigné es à chaque é tape. Jules Borelli les retranscrira dans son journal de voyage51. Rimbaud, pour sa part, transmettra ses notes à Alfred Bardey qui les communiquera à la Socié té de Gé ographie (lettre à Bardey du 26 aoû t 1887).

Au bout de trois semaines la caravane arrive à Harar. Borelli retourne à Entoto quinze jours aprè s. Rimbaud lui, doit attendre pour se faire payer mais le ras n’a pas d’argent et transforme son bon de paiement par deux traites payables à Massaouah. Aprè s avoir repris la route en direction de Zeilah, Rimbaud regagne Aden le 25 juillet. Il fait un compte-rendu dé taillé de la liquidation de sa caravane au vice-consul de France, É mile de Gaspary. Ré sultat de «cette misé rable affaire»: une perte de 60 % sur son capital, «sans compter vingt et un mois de fatigues atroces»52.

Avec l’intention de prendre un peu de repos en É gypte, Rimbaud embarque avec son domestique au dé but du mois d’aoû t pour encaisser ses traites à Massaouah. Arrê té à son arrivé e pour dé faut de passeport, l’intervention de Gaspary est né cessaire pour lui permettre de poursuivre sa route. Nanti d’un passeport, de l’argent de ses traites et d’une recommandation du consul de France de Massaouah à l'attention d'un avocat du Caire53. Il dé barque à Suez pour se rendre en train jusqu’à la capitale où il arrive le 20 aoû t. Dans une lettre aux siens du 23 aoû t il se plaint de rhumatismes dans l’é paule droite, les reins, la cuisse et le genou gauche.

Est-ce l’avocat pour qui il avait une lettre de recommandation qui le met en relation avec son confrè re, Borelli Bey (Octave Borelli), ou est-ce Jules Borelli qui lui a donné les coordonné es de son frè re aî né, Octave, directeur du journal, Le Bosphore é gyptien? Toujours est-il que Rimbaud lui adresse les notes de son expé dition du Choa et qu’elles sont publié es les 25 et 27 aoû t54.

Aprè s avoir placé sa fortune dans une succursale du Cré dit lyonnais, il ne sait où aller pour travailler à nouveau: Zanzibar? Madagascar? Il sollicite une mission en Afrique à la Socié té de Gé ographie à Paris; sans succè s. Il retourne à Aden en dé but d’octobre.

N° 318 de la sé rie Les Hommes d’aujourd’hui, publié en janvier 1888 (caricature de Luque).

Aden, où les dé convenues de sa livraison d’armes le poursuivent. Il doit encore justifier le paiement d’une dette de Pierre Labatut à un certain A. Deschamps (l’affaire sera soldé e le 19 fé vrier 1891, aprè s d’interminables é changes de courriers).

En dé cembre 1887, malgré divers contacts entrepris, Rimbaud est toujours sans travail. Il revoit Alfred Ilg, de passage à Aden avant de se rendre à Zurich (à la suite de quoi ils correspondront fré quemment). Par ailleurs, le stock d’armes de Paul Soleillet, resté à Tadjourah aprè s sa mort, a é té racheté par Armand Savouré. Malgré l’embargo sur ce commerce, celui-ci compte les livrer au roi Mé né lik. Pour former sa caravane, il propose à Rimbaud de tenter de se procurer des chameaux auprè s du ras de Harar. Pour cela, Arthur retourne sur les terres africaines en fé vrier 1888 mais, n’ayant pu convaincre Makonnen, il en revient bredouille un mois plus tard55.

Dans le milieu litté raire parisien, le silence et disparition inexpliqué s du poè te Jean-Arthur Rimbaud entourent son nom de mystè re et les interrogations qu'il suscite donnent libre cours à toutes sortes de fables — en 1887 on l'a dit mort, ce qui inspira Paul Verlaine pour é crire Laeti et errabundi56. En janvier 1888, le mê me publie à nouveau une é tude biographique dans un numé ro de la revue Les Hommes d’aujourd’hui, consacré au poè te disparu.

Dernier sé jour au Harrar

La route d’Entoto à Harrar é tant maintenant ouverte, la cité harari devient une é tape obligé e pour commercer avec le royaume du Choa. Rimbaud est dé terminé à s’y installer pour se consacrer à un commerce plus orthodoxe (café, gomme, peaux de bê tes, musc (de Civette), cotonnade, ivoire, or, ustensiles manufacturé s et fournisseur de chameaux pour caravanes). Il contacte Cé sar Tian, un important exportateur de café d’Aden, pour le repré senter à Harar, offre sa collaboration à Alfred Bardey à Aden, à Alfred Ilg au Choa et à Constantin Sotiro qui s’est é tabli à Zeilah. Ces accords conclus, il part é difier son comptoir (dé part le 13 avril, arrivé e le 3 mai 1888).

Aprè s la satisfaction des dé buts, l’humeur devient maussade. Rimbaud s'ennuie. Il l’é crit à sa famille dans une lettre daté e du 4 aoû t 1888: «Je m'ennuie beaucoup, toujours; […] n’est-ce pas misé rable, cette existence sans famille, sans occupation intellectuelle […]?»

Fin septembre il offre l’hospitalité à l’explorateur Jules Borelli qui, venant du Choa, fait une halte d’une semaine avant de regagner le port de Zeilah. Quelques semaines aprè s, c’est au tour d’Armand Savouré qui a enfin ré ussi à livrer son stock d’armes au roi Mé né lik. Dans leurs té moignages tous deux le dé criront comme un ê tre intelligent, sarcastique, peu causant, ne livrant rien sur sa vie anté rieure, vivant trè s simplement, s’occupant de ses affaires avec pré cision, honnê teté et fermeté 57.

Le ras Makonnen quitte la ville en novembre pour rejoindre son cousin le roi qui se pré pare à entrer en guerre contre l’empereur Johannè s IV. Cette guerre n’aura pas lieu car au mois de mars, l’empereur «eut l’idé e d’aller d’abord flanquer une raclé e aux mahdistes du cô té de Metemma. Il y est resté, que le Diable l’emporte!» (lettre à ses mè re et sœ ur du 18 mai 1889). Le 3 novembre, Mé né lik devient Negusä nä gä st d’É thiopie sous le nom de Mé né lik II.

De retour de Zurich, Alfred Ilg, est hé bergé du 23 dé cembre 1888 au 5 fé vrier 1889; le temps d’attendre la fin des affrontements entre Issas et Gallas pour transporter en toute sé curité ses marchandises et celles de son hô te jusqu’à Entoto.

Les affaires avec le conseiller du roi marcheront en bonne entente jusqu’au bout. Il faut souligner ici que le mythe faisant de Rimbaud un né grier est infondé: «N’allez pas croire que je sois devenu marchand d’esclave» avait-il dé jà é crit à sa famille le 3 dé cembre 1885. Il est seulement vrai qu'il demande à Ilg, dans une lettre daté e du 20 dé cembre 1889, «deux garç ons esclaves pour [son] service personnel».

Si la traite est interdite par Mé né lik, elle se fait clandestinement et beaucoup d’Europé ens possè dent des esclaves comme domestiques sans que cela soit blâ mable. Le 23 aoû t 1890, l’ingé nieur lui ré pondra: «pardonnez-moi, je ne puis m’en occuper, je n’en ai jamais acheté et je ne veux pas commencer. Je reconnais absolument vos bon[ne]s intentions, mais mê me pour moi je ne le ferai jamais.»

À la veille de Noë l, une caravane est attaqué e par une tribu sur la route de Zeilah à Harar. Deux missionnaires et une grande partie des chameliers sont assassiné s. Suite aux repré sailles qui se soldent par des pertes importantes dans les rangs anglais, les routes commerciales sont coupé es jusqu’à la mi-mars 1890. Le manque à gagner que cela occasionne est sujet de conflit avec Cé sar Tian. Rimbaud songe alors à se rendre à Aden pour liquider ses affaires avec lui. Ensuite, il se rendrait en France dans l'espoir de se marier.

À Paris, Anatole Baju, ré dacteur en chef de la revue Le Dé cadent et de la sé rie Les Hommes d’Aujourd’hui, divulgue des renseignements reç us sur Arthur Rimbaud: il est vivant et vit a Aden. Le 17 juillet 1890, Laurent de Gavoty, directeur de la revue litté raire marseillaise, La France moderne, lui é crit par le biais du consul de France à Aden pour dire qu’il a lu ses «beaux vers» et qu’il serait «heureux et fier de voir le chef de l’é cole dé cadente et symboliste» collaborer pour sa publication58.

En 1891, dans une lettre é crite le 20 fé vrier, Arthur demande à sa mè re de lui faire parvenir un bas à varices car il en souffre à la jambe droite depuis plusieurs semaines. Il lui signale aussi une «douleur rhumatismale» au genou droit. Il en attribue les causes aux «trop grands efforts à cheval, et aussi par des marches fatigantes.» Un mé decin consulté un mois plus tard, lui conseille d’aller se faire soigner en Europe le plus rapidement possible. Bientô t, ne pouvant plus se dé placer, il dirige ses affaires en position allongé e. Au vu de l’aggravation rapide de son genou et de l’é tat de raideur de sa jambe, il liquide à la hâ te toutes ses marchandises pour quitter le pays.

Transporté par des porteurs sur une civiè re – construite selon ses plans –, la caravane prend le dé part au matin du 7 avril. Djami, son domestique, est du voyage. Malgré les souffrances, accentué es par l’inconfort, les intempé ries et la longueur du dé placement, il note les faits marquants de chaque é tape jusqu’à son arrivé e au port de Zeï lah, le 18 avril. Dé barqué à Steamer Point trois jours aprè s, Rimbaud est hé bergé chez Cé sar Tian le temps de ré gler leurs comptes. Hospitalisé aussitô t aprè s, les mé decins lui diagnostiquent une synovite rendue à un point si inquié tant qu’une amputation semble iné vitable. Cependant, quelques jours de repos lui sont accordé s pour en mesurer les é ventuels bienfaits. Devant le peu d’amé lioration, il lui est conseillé de rentrer en France.

Le 9 mai, on l’embarque sur l’Amazone, un trois-mâ ts goé lette à vapeur des Messageries maritimes, à destination de Marseille59.






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