Jean de la Fontaine 6 страница
La neige volait, s'é crasait sur les pè lerines, é toilait les murs. De place en place, entre deux nuits, on voyait le dé tail d'une figure rouge à la bouche ouverte, une main qui dé signe un but.
Une main dé signe l'é lè ve pâ le qui titube et qui va encore appeler. Il vient de reconnaî tre, debout sur un perron, un des acolytes8 de son idole. C'est cet acolyte qui le condamne. Il ouvre la bouche: «Darg...»; aussitô t la
boule de neige lui frappe la bouche, y pé nè tre, paralyse les dents. Il a juste le temps d'apercevoir un rire et, à cô té du rire, au milieu de son é tat-major. Dargelos qui se dresse les joues en feu, la chevelure en dé sordre, avec un geste immense. Un coup le frappe en pleine poitrine. Un coup sombre. Un coup de poing de marbre. Un coup de poing de statue. Sa tê te se vide. Il devine Dargelos sur une espè ce d'estrade, le bras retombé, stupide dans un é clairage surnaturel.
Il gisait par terre. Un flot de sang é chappé de la bouche barbouillait son menton et son cou, imbibait la neige***. Des sifflets retentirent. En une minute la cité se vida. Seuls quelques curieux se pressaient autour du corps et, sans porter aucune aide, regardaient avidement la boue rouge. Certains s'é loignaient, craintifs, en faisant claquer leurs doigts; ils avanç aient une lippe9, levaient les sourcils et hochaient la tê te; d'autres rejoignaient leurs sacs d'une glissade. Le groupe de Dargelos restait sur les marches du perron, immobile. Enfin le censeur10 et le concierge du collè ge apparurent, pré venus par l'é lè ve que la victime avait appelé Gé rard en entrant dans la bataille. Il les pré cé dait. Les deux hommes soulevè rent le malade; le censeur se tourna du cô té de l'ombre:
«C'est vous, Dargelos?
— Oui, monsieur.
— Suivez-moi.»
Et la troupe se mit en marche.
Les Enfants terribles (1920)
Примечания:
1. Ярмарочные акробаты, бродячие комедианты. 2. Резервы (военный термин) 3. Прихрамывал. 4 Выпуклость, выступ. 5. Грозные гримасы, которые строил " большой". 6. Главарь, вожак. Существует выражение le coq du village, соответствую- щее рускому " первый парень на деревне". 7. Даржело. 8. Приятелей. 9 Нижнюю губу 10. Надзиратель, отвечающий за дисциплину в лицее.
Вопросы:
* Relevez les expressions insolites contenues dans ce dé but («sol é corché vif », j)ar exemple), et appré -ciez-en la justesse et /'originalité,
** Cette scè ne de cruauté enfantine vous paraî t-elle vraisemblable?
* Comparez cette description avec le poè me lie Cocteau inspiré par le mê me é pisode,
«Ce coup de poing de marbre é tait boule de neige
Et cela lui é toila le cœ ur;
Et cela é toilait la blouse du vainqueur,
É toila le vainqueur noir que rien ne protè ge.
Il restait stupé fait, debout
Dans la gué rite de solitude,,
Jambes nues sous le gin, les noix d'or, le houx,
Etoile comme le tableau noir de l'é tude.
Ainsi partent souvent du collè ge Ces coups de poing qui font cracher le sang, Ces coups de poing durs des boules de neige, Que donne la beauté, vite, au cœ ur, en passant.»
(Poé sies)
JEAN GIONO (né en 1895)
On a parfois voulu ré duire JEAN GIONO au rô le de chantre exalté de la Provence. Mais l'auteur des Vraies Richesses et du Poids du Ciel est teaucouj) plus qu'un simple romancier ré gionaliste. Mê me si l'on n'est pas d'accord avec sa philosophie naturiste et son apologie de la civilisation paysanne, il faut bien reconnaî tre en lui un prodigieux poè te en prose, un inspiré chez qui l'imaê e affleure en un jaillissement ininterrompu, un é crivain dont la phrase, parfois pesante, a la saveur d'un lait cré meux...
UNE NUIT EXTRAORDINAIRE
C'é tait une nuit extraordinaire.
Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les é toiles avaient é claté comme de l'herbe. Elles é taient en touffes avec des racines d'or, é panouies, enfoncé es dans les té nè bres et qui soulevaient des mottes luisantes de
nuit*.
Jourdan ne pouvait pas dormir. Il se tournait, il se retournait.
«Il fait un clair de toute beauté», se disait-il. Il n'avait jamais vu ç a.
Le ciel tremblait comme un ciel de mé tal. On ne savait pas de quoi puisque tout é tait immobile, mê me le plus petit pompon d'osier. Ç a n'é tait pas le vent. C'é tait tout simplement le ciel qui descendait jusqu'à toucher la terre, racler les plaines, frapper les montagnes et faire sonner les corridors des forê ts. Aprè s, il remontait au fond des hauteurs. Jourdan essaya de ré veiller sa femme. «Tu dors?
— Oui.
— Mais tu ré ponds?
— Non,
— Tu as vu la nuit?
— Non.
— Il fait un clair superbe.»
Elle resta sans ré pondre et fit aller un gros soupir, un claqué des lè vres et puis un mouvement d'é paules comme une qui se dé fait d'un fardeau. «Tu sais à quoi je pense?
— Non.
— J'ai envie d'aller labourer entre les amandiers.
— Oui.
— La piè ce, là, devant le portail.
— Oui.
— En direction de Fra-José phine2.
— Oh! oui», dit-elle.
Elle bougea encore deux ou trois fois ses é paules et finalement elle se coucha en plein sur le ventre, le visage dans l'oreiller.
«Mais, je veux dire maintenant», dit Jourdan. Il se leva. Le parquet é tait froid, le pantalon de velours glacé. Il y avait des é clats de nuit partout dans la chambre. Dehors on voyait presque comme en plein jour le plateau et la forê t Cré mone. Les é toiles s'é parpillaient partout.
Jourdan descendit à J'é table. Le cheval dormait debout.
«Ah! dit-il, toi tu sais, au moins. Voilà que tu n'as pas osé te coucher.»
Il ouvrit le grand vantail3. Il donnait directement sur le large du champ. Quand on avait vu la lumiè re de la nuit, comme ç a, sans vitre entre elle et les yeux, on connaissait tout d'un coup la pureté, on s'apercevait que la lumiè re du fanal4 avec son pé trole, é tait sale, et qu'elle vivait avec du sang charbonné.
Pas de lune, oh! pas de lune. Mais on é tait comme dessous des braises, malgré ce dé but d'hiver et le froid. Le ciel sentait la cendre. C'est l'odeur des é corces d'amandiers et de la forê t sè che.
Jourdan pensa qu'il é tait temps de se servir du brabant5 neuf. La charrue avait encore les muscles tout bleus de la derniè re foire, elle sentait le magasin du marchand, mais elle avait l'air volonteuse6 C'é tait l'occasion ou jamais. Le cheval s'é tait ré veillé. II é tait venu jusque prè s de la porte pour regarder.
Il y a sur la terre de beaux moments bien tranquilles.
«Si vraiment je l'attends7 parce qu'il doit venir, se dit Jourdan, il arrivera une nuit comme celle-là.»
Il avait enfoncé le tranchant du contre8 au commencement du champ, en 336
tournant le dos à la ferme de Fra-José phine et en direction de la forê t Gré mone. Il aimait mieux labourer dans ce sens parce qu'il recevait en plein nez l'odeur des arbres. C'est le cheval qui, de lui-mê me, s'é tait placé de ce cô té.
Il y avait tant de lumiè re qu'on voyait le monde dans sa vraie vé rité, non plus dé charné de jour mais engraissé d'ombre et d'une couleur bien plus fine. L'œ il s'en ré jouissait. L'apparence des choses n'avait plus de cruauté, mais tout racontait une histoire, tout parlait doucement aux sens. La forê t là -bas é tait couché e dans le tiè de des combes9 comme une grosse pintade aux plumes luisantes.
«Et, se dit Jourdan, j'aimerais bien qu'il me trouve en train de labourer.»
Depuis longtemps il attendait la venue d'un homme. Il ne savait pas qui. Il ne savait pas d'où il viendrait. Il ne savait pas s'il viendrait.' Il le dé sirait seulement. C'est comme ç a que parfois les choses se font et l'espé rance humaine est un tel miracle qu'il ne faut pas s'é tonner si parfois elle s'allume dans une tê te sans savoir ni pourquoi ni comment. Le tout c'est qu'aprè s elle continue à soulever la vie avec ses grandes ailes de velours.
«Moi je crois qu'il viendra», se dit Jourdan. Et puis, c'est bien vrai, la nuit é tait extraordinaire. Tout pouvait arriver dans une nuit pareille. Nous aurions beau temps que l'homme vienne10**.
Que ma joie demeure (1935).
Примечания:
1. Чмоканье, т.е. она причмокнула. — Giono aime employer les adjectifs ou les participes avec une valeur de substantif (cf. infra: «le large du champ; le tiè de des combes»). Ce sont des tours tout latins. 2. Название соседней фермы. 3. Створка дверей. 4. Фонарь " летучая мышь". 5. Плуг. 6. Mot de patois pour: volontaire. 7. Я жду человека, который должен прийти (см. предпоследний абзац). 8. Лемех плуга (слово того же корня, что и couteau) 9.Ложбин. 10. Хороший повод, чтобы он пришел.
Вопросы:
* Expliquez les images contenues dans cette phrase.
** L'un des ouvrages de Jean Giono s'intitule lie Poids du Ciel. Cette page n'offve-t-elle pas, elle aussi, un exemple de poé sie vé ritablement cosmique?
MARCEL AYMÉ (1902-1967)
marcel AYMÉ est un conteur-né. Chez lui, le passage du ré el au mer-veilleux s'opè re spontané ment. Mais son esprit malicieux se plaî t surtout à imaginer
quels bouleversements le fantastique introduirait dans notre vie quotidienne si d'un instant à l'autre, il y devenait ré alité.
LE PASSE-MURAILLE
Un modeste fonctionnaire de 43 ans, Dutilleul, s'est brusquement dé couvert le don de passer à travers les murailles. Il en profite d'abord four mystifier un sous-chef de bureau qui l'avait humilié. Puis, mis en goû t par ce premier succè s, il s'enhardit et se fait cambrioleur.
Le premier cambriolage auquel se livra Dutilleul eut lieu dans un grand é tablissement de cré dit de la rive droite. Ayant traversé une douzaine de murs et de cloisons, il pé né tra dans divers coffres-forts, emplit ses poches de billets de banque et, avant de se retirer, signa son larcin à la craie rouge, du pseudonyme1 de Garou-Garou, avec un fort joli paraphe2 qui fut reproduit le lendemain par tous les journaux. Au bout d'une semaine, ce nom de' Garou-Garou connut une extraordinaire cé lé brité. La sympathie du public allait sans ré serve à ce prestigieux cambrioleur qui narguait si joliment la police. Il se signalait chaque nuit par un nouvel exploit accompli soit au dé triment d'une banque, soit à celui d'une bijouterie ou d'un riche particulier. A Paris comme en province, il n'y avait point de femme un peu rê veuse qui n'eû t le fervent dé sir d'appartenir corps et â me au terrible Garou-Garou. Aprè s le vol du fameux diamant de Burdigala et le cambriolage du Cré dit municipal, qui eurent lieu la mê me semaine, l'enthousiasme de la foule atteignit au dé lire. Le ministre de l'Inté rieur dut dé missionner, entraî nant dans sa chute le ministre de l'Enregistrement'. Cependant, Dutilleul, devenu l'un des hommes les plus riches de Paris, é tait toujours ponctuel à son bureau et on parlait de lui pour les palmes acadé miques4. Le matin, au ministè re de l'Enregistrement, son plaisir é tait d'é couter les commentaires que faisaient les collè gues sur ses exploits de la veille. «Ce Garou-Garou, disaient-ils, est un homme formidable, un surhomme, un gé nie.» En entendant de tels é loges, Dutilleul devenait rouge de confusion et, derriè re le lorgnon à chaî nette, son regard brillait d'amitié et de gratitude. Un jour, cette atmosphè re de sympathie le mit tellement en confiance qu'il ne crut pas pouvoir garder le secret plus longtemps. Avec un reste de timidité, il considé ra ses collè gues groupé s autour d'un journal relatant le cambriolage de la Banque de France, et dé clara d'une voix modeste: «Vous savez, Garou-Garou, c'est moi.» Un rire é norme et interminable accueillit la confidence de Dutilleul.qui reç ut, par dé rision, le surnom de Garou-Garou. Le soir, à l'heure de quitter le ministè re, il é tait l'objet de plaisanteries sans fin de la part de ses camarades et la vie lui semblait moins belle*.
Quelques jours plus tard, Garou-Garou se faisait pincer5 par une ronde 338
de nuit dans une bijouterie de la rue de la Paix. Il avait apposé sa signature sur le comptoir-caisse et s'é tait mis à chanter une chanson à boire en fracassant diffé rentes vitrines à l'aide d'un hanap6 en or massif. Il lui eû t é té facile de s'enfoncer dans un mur et d'é chapper ainsi à la ronde de nuit7, mais tout porte à croire qu'il voulait ê tre arrê té, et probablement à seule fin de confondre ses collè gues dont l'incré dulité l'avait mortifié. Ceux-ci, en effet, furent bien surpris, lorsque les journaux du lendemain publiè rent en premiè re page la photographie de Dutilleul. Ils regrettè rent amè rement d'avoir mé connu leur gé nial camarade et lui rendirent hommage en se laissant pousser une petite barbiche8. Certains mê me, entraî né s par le remords et l'admiration, tentè rent de se faire la main sur le portefeuille ou la montre de famille de leurs amis et connaissances**.
On jugera sans doute que le fait de se laisser prendre par la police pour é tonner quelques collè gues té moigne d'une grande lé gè reté, indigne d'un homme exceptionnel, mais le ressort apparent de la volonté est fort peu de chose dans une telle dé termination. En renonç ant à la liberté, Dutilleul croyait cé der à un orgueilleux dé sir de revanche, alors qu'en ré alité il glissait simplement sur la pente de sa destiné e. Pour un homme qui passe à travers les murs, il n'y a point de carriè re un peu poussé e s'il n'a tâ té au moins une fois de la prison. Lorsque Dutilleul pé né tra dans les locaux de la Santé 9, il eut l'impression d'ê tre gâ té par le sort. L'é paisseur des murs é tait pour lui un vé ritable ré gal. Le lendemain mê me de son incarcé ration, les gardiens dé couvrirent avec stupeur que le prisonnier avait planté un clou dans le mur de sa cellule et qu'il y avait accroché une montre en oj appartenant au directeur de la prison. Il ne put ou ne voulut ré vé ler comment cet objet é tait entré en sa possession. La montre fut rendue à son proprié taire et, le lendemain, retrouvé e au chevet de Garou-Garou avec le tome premier des Trois Mousquetaires10 emprunté à la bibliothè que du directeur. Le personnel de la Santé é tait sur. les dents". Les gardiens se plaignaient en outre de recevoir des coups de pied dans le derriè re, dont la provenance é tait inexplicable. Il semblait que les murs eussent, non plus des oreilles, mais des pieds. La dé tention de Garou-Garou durait depuis une semaine, lorsque le directeur de la Santé, en pé né trant un matin dans son bureau, trouva sur sa table la lettre suivante:
«Monsieur le directeur. Me reportant à notre entretien du 17 courant et, pour mé moire12 à vos instructions gé né rales du 15 mai de l'anné e derniè re, j'ai l'honneur de vous informer que je viens d'achever la lecture du second tome des Trois Mousquetaires et que je compte m'é vader cette nuit entre onze heures vingt-cinq et onze heures trente-cinq. Je vous prie, monsieur le directeur, d'agré er l'expression de mon profond respect. GAROU-GAROU.»
Malgré l'é troite surveillance dont il fut l'objet cette nuit-là, Dutilleul s'é vada à onze heures trente. Connue du public le lendemain matin, la
nouvelle souleva partout un enthousiasme magnifique. Cependant, ayant effectué un nouveau cambriolage qui rnit le comble à sa popularité. Dutilleul semblait peu soucieux de se cacher et circulait à travers Montmartre sans aucune pré caution. Trois jours aprè s son é vasion, il fui arrê té rue Caulaincourt au café du Rê ve, un peu avant midi, alors qu'il buvait un vin blanc citron avec des amis.
Reconduit à la Santé et enfermé au triple verrou dans un cachot ombreux, Garou-Garou s'en é chappa le soir mê me et alla coucher à l'appartement du directeur, dans la chambre d'ami. Le lendemain matin, vers neuf heures, il sonnait la bonne pour avoir son petit dé jeuner et se laissait cueillir au lit, sans ré sistance, par les gardiens alerté s. Outré, le directeur é tablit un poste de garde à la porte de son cachot et le rnit au pain sec. Vers midi, le prisonnier s'en fut dé jeuner dans un restaurant voisin de la prison et, aprè s avoir bu son café, té lé phona au directeur.
«Allô! Monsieur le directeur, je suis confus, mais tout à l'heure, au moment de sortir, j'ai oublié de prendre votre poitefeuille, de sorte que je me trouve en panne13 au restaurant. Voulez-vous avoir la bonté d'envoyer quelqu'un pour ré gler l'addition***?»
Le Passe-Muraille (1943) Примечания:
I. Псевдоним, обозначающий " оборотень". 2. Росчерк, которым заканчивается подпись. 3. Вымышленное министерство, в котором в скромной должности служил герой рассказа. 4" Академические пальмы", почетная награда зазаслуги в области литературы и искусства. Во Франции эта награда зачастую воспринимается весьма насмешливо. 5. Схватить, сцапать. 6 Старинный кубок. 7. Ночной полицейский об- ход. 8. Герой рассказа носит бородку 9 Знаменитая парижская тюрьма Came. 9 Ро- ман Александра Дюма. 10. Валился с ног от усталости. 11. Бухгалтерский термин, означающий, что такая-то статья включена в счетный документ только для справки. Здесь, имея в виду. 12 Морской термин, означающий " лежать в дрейфе". Означаем также " потерпеть аварию" (автомобильную, авиа) или " сидеть на мели" (без денег).
Вопросы:
* Eludiez le caractè re de Dutilleul, tel qu'il se manifeste dans cette, page.
** N'v a-t-il pas dans cette phrase (et aussi dans les deux ou trois suivantes) une -pointe de malice voire de satire?
*** Est-ce par hasard que les personnages tourné s en dé rision par Dutilleul appartiennent soit à l'administration, soit à la police?
ALBERT CAMUS (1913-1960)
L'Œ UVRE D'ALBERT CAMUS est encore peu volumineuse. Mais elle est fort diverse, et surtout elle -possè de une rare densité. Plus que par son contenu, peut-ê tre, elle semble valoir par son accent, par sa tension, par la vertu d'un style poé tique et pourtant d'une infaillible netteté.
UN MEURTRE
Meursault, le narrateur, est allé passer la journé e sur une plage en compagnie de Raymond. Celui-ci a eu une altercation avec un Arabe, qui l'a blessé d'un coup de couteau. Avant de repartir, il a confié son revolver à Meursault, lequel, é puisé par la chaleur, se met à la recherche d'un endroit ombragé.
Je voyais de loin la petite masse sombre du rocher entouré e d'un halo aveuglant par la lumiè re et la poussiè re de mer. Je pensais à la source fraî che derriè re le rocher. J'avais envie de retrouver le murmure de son eau, envie de fuir le soleil, l'effort et les pleurs de femme, envie enfin de retrouver l'ombre et son repos. Mais quand j'ai é té plus prè s, j'ai vu que le type de Raymond1 é tait revenu.
Il é tait seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil. Son bleu de chauffe" fumait dans la chaleur. J'ai é té un peu surpris. Pour moi, c'é tait une histoire finie et j'é tais venu là sans y penser.
Des qu'il m'a vu, il s'est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j'ai serré le revolver de Raymond dans mon veston. Alors de nouveau, il s'est laissé aller en arriè re, mais sans retirer la main de sa poche. J'é tais assez loin de lui, à une dizaine de mè tres. Je devinais son regard par instants, entre ses paupiè res mi-closes. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux dans l'air enflammé. Le brait des vagues é tait encore plus paresseux, plus é tale' qu'à midi. C'é tait le mê me soleil, la mê me lumiè re sur le mê me sable qui se prolongeait ici. Il y avait dé jà deux heures que la journé e n'avanç ait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancré dans un océ an de mé tal bouillant. A l'horizon, un petit vapeur est passé et j'en ai deviné la tache noire au bord de mon regard, parce que je n'avais pas cessé de regarder l'Arabe.
J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derriè re moi. J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il é tait encore assez loin. Peut-ê tre à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire. J'ai
attendu. La brû lure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils. C'é tait le mê me soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brû lure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'é tait stupide, que je ne me dé barrasserais pas du soleil en me dé plaç ant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a pré senté dans le soleil. La lumiè re a giclé sur l'acier et c'é tait comme une longue lame é tincelante qui m'atteignait au front. Au mê me instant, la sueur amassé e dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupiè res et les a recouvertes d'un voile tiè de et é pais. Mes yeux é taient aveuglé s derriè re ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinc- tement, le glaive é clatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette é pé e brû lante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle é pais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son é tendue pour laisser pleuvoir du feu*. Tout mon ê tre s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâ chette a cé dé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais dé truit l'é quilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais é té heureux. Alors, j'ai tiré quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonç aient sans qu'il y parû t. Et c'é tait comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du mal- heur**.
L'É tranger (1942).
Примечания:
1. Араб, который ранил Ремона. Слово type употреблено здесь в разговорном зна- чении. 2. Синий шоферский комбинезон. 3. Спокойное море, штиль. Т.е. шум волн был ленивей и спокойней...
Вопросы:
* La scè ne se passe sur une plage d'Afrique du Nord: comment l'impression de chaleur et de lumiè re est-elle rendue dans cette page?
** L'assassin vous semble-t-il totalement coupable? — Voyez-vous pourquoi l'é crivain l'a appelé « l'É tranger»?
XV. Театр во Франции
Театр зародился во Франции в средние века. Произошло это тогда, когда литургическая драма слишком разрослась для того, чтобы ее можно было продолжать разыгрывать в церкви, и она переместилась на паперть (XII в.) Тогда она была представлена такими разновидно- стями как " игра", " чудо", а впоследствии " мистериями", которые объединяла одна черта: все они имели религиозный характер. Но вскоре в отдельный жанр выделилась комедия; комедий было много, и во всяком случае одна из них " Фарс о Патлене" (XV в.) до сих пор не утратила остроты и пикантности.
Возникновение гуманизма определило поворот в истории француз- ского театра: авторы — к примеру, Робер Гарнье — обратили свое внимание на великих драматургов греко-латинской античности, а тео- ретики, такие как Скалижер и Воклен де ла Френе, разработали поло- жения доктрины, подготовившей появление классической трагедии, в основе которой лежит нравственная проблема, разрешаемая в жестких рамках трех единств — единства места, времени и действия. Теперь оставалось ждать явления гения, чтобы выразить эту новую направ- ленность драматургии. Им стал Корнель со своим " Сидом" (1636). Но достоинства Корнеля отнюдь не принижают значения ни Мольера, создавшего великие комедии нравов и положений, ни Расина, кото- рый доселе непревзойденным образом сумел соединить в своих траге- диях сценичность, подлинность человеческих характеров и волшеб- ную поэзию.
Наш чрезмерно философский XVIII век не дал ни одного великого драматурга. Исключение, быть может, составляет Мариво, автор не- сомненно оригинальный, но по широте значительно уступающий Мольеру. Тем не менее необходимо отметить усилия некоторых писа- телей отыскать с помощью новых форм способы обновления фран- цузской сцены; так Дидро предпринял попытку соединить трагедию и комедию, создав так называемую буржуазную драму (к сожалению, и " Побочный сын", и " Отец семейства" оказались не слишком убеди- тельными иллюстрациями этой пробы обновления), а Бомарше, желая
|