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Йtourderie






Je l’avais connue au restaurant.

 

Depuis quelque temps elle y venait rйguliиrement tous les soirs а six heures. Mon dйsespoir, c’est qu’elle n’apportait а ma personne aucune attention.

 

J’avais beau m’installer а une table voisine, me donner des airs aimables, lui rendre de ces menus services qu’on se rend entre clients; rien n’y faisait.

 

Pourtant, un jour qu’elle s’impatientait а frapper sur la table sans obtenir l’arrivйe du garзon, je pris ma voix la plus indignйe et je tonnai:

 

– Vous кtes donc sourd, garзon? Voilа deux heures que madame vous appelle!

 

Elle se tourna vers moi et me remercia d’un sourire.

 

Alors immйdiatement je l’aimai.

 

De son cфtй la glace йtait rompue.

 

А partir de ce moment, elle ne manqua pas de me dire bonsoir tous les jours en entrant, un joli petit bonsoir gracieux et pimpant comme elle.

 

Et puis nous devоnmes bons camarades.

 

Elle s’appelait Lucienne.

 

Sans кtre une honnкte femme, ce n’йtait pas non plus une cocotte. Elle appartenait а cette catйgorie de petites dames que les bourgeois stigmatisent du nom de femmes entretenues.

 

Son monsieur, un gros homme d’une dignitй extraordinaire, ne venait que rarement chez elle. Inspecteur dans une Compagnie d’assurances contre les champignons vйnйneux, il voyageait souvent en province et laissait а Lucienne de frйquents loisirs.

 

Le seul inconvйnient de cette liaison, c’est que le monsieur digne йtait terriblement jaloux et qu’il arrivait toujours а l’improviste chez sa dame, au moment oщ elle l’attendait le moins.

 

Sans йprouver pour moi une passion foudroyante, Lucienne m’aimait bien.

 

А cette йpoque-lа, j’йtais jeune encore et titulaire d’une joyeuse humeur que les tourmentes de la vie ont balayйe comme un fйtu de paille.

 

Lucienne aussi йtait trиs gaie.

 

Moi, j’en йtais devenu follement amoureux, et depuis quelques jours je ne lui cachais plus ma flamme.

 

Elle riait beaucoup de mes dйclarations, et me rйpйtait: «Un de ces jours… un de ces jours!» Mais un de ces jours n’arrivait pas assez vite а mon grй.

 

Un soir, je lui offris timidement de l’emmener au thйвtre. Mon ami Paul Lordon, alors secrйtaire de la Porte Saint-Martin, m’avait donnй deux fauteuils pour je ne sais plus quel drame.

 

Elle accepta.

 

Aprиs la reprйsentation, dans la voiture qui nous ramenait, elle se laissa enfin toucher par mes supplications, et elle dйcida ceci: elle monterait d’abord chez elle pour vйrifier si l’homme digne n’y йtait pas prйalablement installй, auquel cas je n’aurais qu’а me retirer. Si la place йtait libre, elle m’en donnerait le signal en mettant а la fenкtre de sa chambre une lampe garnie d’un abat-jour йcarlate.

 

Il pleuvait а verse.

 

Tout pantelant de dйsir, j’attendais sur le trottoir en face du lumineux signal.

 

Des minutes se passиrent, plus des quarts d’heure. Pas la moindre lueur rouge. Le dйsespoir au cњur, et trempй jusqu’aux moelles, je me dйcidai а rentrer chez moi.

 

Ah! dans ce moment si j’avais tenu monsieur, je lui aurais fait passer sa dignitй!

 

Le lendemain, je fus accueilli plus que froidement par Lucienne.

 

– Vous кtes encore un joli garзon, vous! me dit-elle d’un ton sec comme un silex.

 

Et comme je prenais ma mine la plus effarйe, elle continua:

 

– Je vous ai attendu toute la nuit! …

 

– Mais la lampe…

 

– La lampe? Je l’ai mise tout de suite а la fenкtre, aussitфt arrivйe!

 

– Je vous jure que je suis restй au moins une heure sur le trottoir en face et que je n’ai rien vu.

 

– Vous avez donc de la mйlasse sur les yeux?

 

– Je vous le jure…

 

– Fichez-moi la paix!

 

Et elle s’installa, courroucйe, devant son tapioca.

 

Je devais avoir l’air trиs bкte.

 

Et puis, tout а coup, la voilа qui lвche sa cuiller et se renverse sur sa chaise, en proie а un йclat de rire tumultueux et prolongй, interrompu par des: «Ah! mon Dieu, que c’est drфle!»

 

Peu а peu, son joyeux spasme diminua d’intensitй, mais pas assez pour la laisser s’expliquer.

 

Elle me regardait avec un bon regard mouillй des larmes du rire et tout rйconciliй:

 

– Ah! mon pauvre ami! Imaginez-vous que je n’avais pas pensй…

 

Et le rire recommenзait.

 

– А quoi? fis-je. А allumer votre lampe, peut-кtre?

 

– Non, c’est pas зa…

 

Elle fit un effort et put enfin parler:

 

– Je n’avais pas pensй que la fenкtre de ma chambre donne sur la cour!

 






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