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Le bahut Henri II






Nous en йtions arrivйs а ce moment du dоner oщ se produit ordinairement l’explosion des sentiments gйnйreux.

 

D’un commun accord, nous flйtrоmes l’esclavage. la question avait йtй mise sur le tapis par un gros garзon que l’on prйtendait кtre un fils naturel de Mgr de Lavigerie. (Le fait est que l’extrкme rubiconderie de son teint semblait dйriver immйdiatement de quelque pourpre cardinalice).

 

Ce dоner йtait un dоner joyeux, composй de quelques Portugais, lesquels, ainsi que l’affirme un proverbe arabe, n’engendrent jamais la mйlancolie.

 

Il y avait lа le major Saligo, et Timeo Danaos, et Doсa Ferentиs (la seule dame de la sociйtй), et Sinon, et Vero, et Ben Trovato, et quelques autres que j’oublie.

 

En fait de Franзais: l’йcarlate bвtard, le lieutenant de vaisseau Becque-Danlot, et moi.

 

J’ai dit plus haut que nous flйtrissions l’esclavage d’un commun accord; cela n’est pas tout а fait exact. Becque-Danlot ne flйtrissait rien du tout. Becque-Danlot semblait, pour le moment, йtranger а toute indignation.

 

Ce fut la belle Doсa Ferentиs qui s’en aperзut la premiиre.

 

– Eh bien! capitaine, fit -elle de sa jolie voix andalouse, зa ne vous rйvolte pas, ces hommes vendus par des hommes, ces hideux marchйs d’Afrique?

 

– Je vous demande mille pardons, seсora, rйpondit l’homme de mer, je me sens indignй au plus creux de mon кtre, mais ma conduite passйe m’interdit de me joindre а vous pour conspuer publiquement ces dйtestables pratiques.

 

Aprиs un silence, il ajouta:

 

– Moi qui vous parle, j’ai vendu un homme!

 

Ce souvenir ne semblait pas torturer а l’excиs notre ami Becque-Danlot, car il йclata d’un rire auquel le remords n’enlevait rien de sa joyeuse sonoritй.

 

– Vous, capitaine! Vous, l’honneur de la marine franзaise! Vous avez vendu un homme?

 

– J’ai vendu un homme! insista Becque-Danlot, toujours gai.

 

– En Afrique?

 

– Non, pas en Afrique, en France.

 

– En France!

 

– Parfaitement! Et mкme mieux: а Paris!

 

– А Paris!

 

– Parfaitement! Et mкme mieux: а l’Hфtel des Ventes, rue Drouot.

 

Du coup, nous jugeвmes que l’intrйpide marin se gaussait de nous.

 

Le fils naturel de Mgr de Lavigerie se fit l’йcho de tous:

 

– Vous vous payez notre poire, capitaine!

 

Sans s’arrкter а cette apostrophe triviale, Becque-Danlot reprit:

 

– Oui, seсora, oui, messieurs, j’ai bazardй un bonhomme а l’Hфtel des Ventes. Зa n’est mкme pas une brillante opйration que j’ai faite lа. J’ai perdu 350 francs… mais j’ai bien rigolй!

 

Un point d’interrogation se peignit sur chacune de nos faces.

 

– Contez-nous cela, ordonna Ferentиs.

 

Un marin franзais n’a jamais rien refusй а une grande dame andalouse: le fait est bien connu.

 

Je passe sous silence le cigare classique qu’alluma le conteur, les spirales traditionnellement bleuвtres qu’il contempla un instant, et j’arrive au rйcit de Becque-Danlot:

 

Il y a de cela trois ans. J’arrivais du Sйnйgal avec un congй de six mois de convalescence et bien disposй а en profiter largement.

 

Un petit hйritage que je venais d’accomplir me permettait de bien faire les choses. Je louai, rue Brйmontier, un rez-de-chaussйe que je meublai fort gentiment, ma foi, et me voilа parti pour la vie joyeuse.

 

Un soir, au Jardin-de-Paris, je fis connaissance d’une jeune femme qui me plut йnormйment. Pas йtonnamment jolie, mais d’une distinction et d’un charme! Trиs rйservйe, avec cela, et ne ressemblant nullement а toutes ces marchandes d’amour qui peuplaient l’endroit.

 

Elle me raconta une histoire а dormir debout, dans laquelle je coupai, d’ailleurs, comme un rasoir.

 

Fille d’un gйnйral, йlevйe а Saint-Denis, pиre remariй, belle-mиre acariвtre, scиnes continuelles, existence impossible, fuite, malheurs, envies de suicide.

 

Le tout accompagnй de larmes furtives qu’elle essuyait frйquemment avec un mouchoir sentant trиs bon.

 

Ce qui suivit, vous le devinez tous, n’est-ce pas? J’emmenai la jeune personne chez moi, l’installai, la lotis d’un amour de petite femme de chambre.

 

Bref, je fus bon avec elle, comme s’il en pleuvait, et discret, et bien йlevй. Tout а fait charmant, vous dis-je.

 

Je la laissais seule presque toute la journйe, ne venant la quйrir que le soir, vers six heures, pour dоner, aller au thйвtre, au concert.

 

Elle semblait s’кtre prise pour moi d’une ardente passion et me rйpйtait souvent:

 

– Quand vous me quitterez, mon ami, je me tuerai!

 

Diable!

 

Je commenзais а devenir sйrieusement inquiet de la tournure que prenaient les choses, quand, un matin, l’amour de petite femme de chambre me remit un billet qu’elle me pria de lire plus tard dans la journйe.

 

Monsieur, disait le billet, n’a pas idйe de ce que Madame se fiche de Monsieur! Monsieur n’a pas plus tфt les talons tournйs que Madame reзoit une espиce de gigolo qui marque bigrement mal. Au cas oщ Monsieur rentrerait brusquement, ce qui est dйjа arrivй une fois, l’affaire est arrangйe: le gigolo se glisse dans le bahut Henri II qui sert de coffre а bois pendant l’hiver. Madame donne un tour de clef au bahut, met la clef dans sa poche, et ni vu ni connu! Comme le couvercle ne joint pas trиs bien, et que le bahut est trиs grand, le gigolo n’est pas trop mal pendant que Monsieur est lа. Pour кtre sыr de piйger le gigolo, venir de prйfйrence vers deux heures de l’aprиs-midi.

 

MARIE.

 

D’abord, je me refusai а croire а tant d’infamie, mais tout de mкme j’йtais lа vers deux heures.

 

Une mimique expressive de l’amour de petite femme de chambre m’apprit que j’arrivais bien.

 

Ellen (vous ai-je dit que la personne s’appelait Ellen?), Ellen me reзut avec le plus enchanteur de ses sourires, et la plus calme de ses physionomies:

 

– Quelle bonne fortune de vous voir а cette heure!

 

La clef du bahut n’йtait pas sur la serrure, une grosse clef en fer forgй de l’йpoque, assez malaisйe а dissimuler.

 

Quelques privautйs manuelles m’apprirent а n’en pas douter que la clef se trouvait dans une des poches de la belle.

 

Donc, plus de doutes!

 

Comment l’idйe me vint de faire ce que je fis en cette circonstance, je n’en sais encore rien. Une lueur de gйnie, sans doute!

 

J’envoyai Ellen m’acheter une cravate chez un chemisier de l’avenue de Villiers, prйtendant qu’elle seule saurait la choisir а mon goыt.

 

Pendant son absence, et en moins de temps qu’il n’en faut pour l’йcrire, j’arrкtais une voiture; aidй d’un commissionnaire, je chargeais le bahut Henri II, et en route pour la salle des ventes!

 

Le meuble, grвce а quelques piиces de cent sous judicieusement distribuйes, prit place dans un mobilier qu’on allait mettre en vente.

 

On fit bien quelques difficultйs pour la clef absente, mais l’йtat du dehors rйpondait pour la conservation intйrieure.

 

Au bout d’une demi-heure, un Auvergnat en faisait l’acquisition pour la somme de deux cent cinquante francs. (Il m’en avait coыtй six cents).

 

Mon bahut fut chargй avec son contenu sur une йnorme voiture de dйmйnagement. On entassa par-dessus les objets les plus hйtйroclites, literie, bronzes d’art, bouteilles de vin, cages а oiseaux, voitures d’enfant, lustres en cristal, etc.

 

Sous cet attirail, le gigolo devait mener un train d’enfer, mais les parois йpaisses du bahut йtouffaient ses clameurs.

 

Dans quelle direction fut-il dirigй? Lui rendit-on promptement sa libertй? Ou bien, s’il y est encore? Je ne songeai jamais а m’occuper de ces dйtails; mais je vous le rйpиte, seсora et messieurs, si j’ai ri dans ma vie, c’est bien ce jour-lа.

 

Quant а Ellen, je ne la revis pas.

 

L’amour de petite femme de chambre m’apprit qu’elle avait quittй mon appartement aprиs avoir fait un petit paquet de ses objets prйcieux, et sans faire la moindre allusion au meuble qui manquait.

 

Depuis ce temps-lа, j’ai banni tout bahut Henri II de mes ameublements.

 






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