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Une mort bizarre






La plus forte marйe du siиcle (c’est la quinziиme que je vois et j’espиre bien que cette jolie sйrie ne se clora pas de sitфt) s’est accomplie mardi dernier, 6 novembre.

 

Joli spectacle, que je n’aurais pas donnй pour un boulet de canon, ni mкme deux boulets de canon, ni trois.

 

Favorisйe par une forte brise S.-O., la mer clapotante affleurait les quais du Havre et s’engouffrait dans les йgouts de ladite ville, se mйlangeant avec les eaux mйnagиres, qu’elle rejetait dans les caves des habitants.

 

Les mйdecins se frottaient les mains: «Bon cela! se disent-ils; а nous les petites typhoпdes!»

 

Car, le croirait-on? Le Havre-de-Grвce est bвti de telle faзon que ses йgouts sont au-dessus du niveau de la mer. Aussi, а la moindre petite marйe, malgrй l’йnergique rйsistance de M. Rispal, les ordures des Havrais s’йpanouissent, cyniques, dans les plus luxueuses artиres de la citй.

 

Ne vous semble-t-il pas, par parenthиse, que ce saligaud[9] de Franзois I er au lieu de traоner une existence oisive dans les brasseries а femmes du carrefour Buci, n’aurait pas mieux fait de surveiller un peu les ponts et chaussйes de son royaume?

 

N’importe! C’йtait un beau spectacle.

 

Je passai la plus importante partie de ma journйe sur la jetйe, а voir entrer des bateaux et а en voir sortir d’autres.

 

Comme la brise fraоchissait, je relevai le collet de mon pardessus. Je m’apprкtais а en faire autant pour le bas de mon pantalon (je suis extrкmement soigneux de mes effets), quand apparut mon ami Axelsen.

 

Mon ami Axelsen est un jeune peintre norvйgien plein de talent et de sentimentalitй.

 

Il a du talent а jeun et de la sentimentalitй le reste du temps.

 

А ce moment, la sentimentalitй dominait.

 

Йtait-ce la brise un peu vive? Йtait-ce le trop-plein de son cњur? … Ses yeux se remplissaient de larmes.

 

«Eh bien? fis-je, cordial, зa ne va donc pas, Axelsen?

 

– Si, зa va. Spectacle superbe, mais douloureux souvenir. Toutes les Plus fortes marйes du siиcle brisent mon cњur.

 

– Contez-moi зa.

 

– Volontiers, mais pas lа.»

 

Et il m’entraоna dans la petite arriиre-boutique d’un bureau de tabac oщ une jeune femme anglaise, plutфt jolie, nous servit un swenska-punch de derriиre les fagots.

 

Axelsen йtancha ses larmes, et voici la navrante histoire qu’il me narra:

 

«Il y a cinq ans de cela. J’habitais Bergen (Norvиge) et je dйbutais dans les arts. Un jour, un soir plutфt, а un bal chez M. Isdahl, le grand marchand de rogues, je tombais amoureux d’une jeune fille charmante, а laquelle, du premier coup, je ne fus pas complиtement indiffйrent Je me fis prйsenter а son pиre et devins familier de la maison. C’йtait bientфt sa fкte. J’eus l’idйe de lui faire un cadeau, mais quel cadeau? … Tu ne connais pas la baie de Vaagen?

 

– Pas encore.

 

– Eh bien, c’est une fort jolie baie dont mon amie raffolait surtout en un petit coin. Je me dis: «Je vais lui faire une jolie aquarelle de ce petit coin, elle sera bien contente.» Et un beau matin me voilа parti avec mon attirail d’aquarelliste. Je n’avais oubliй qu’une chose, mon pauvre ami: de l’eau. Or, tu sais que si le mouillage est interdit aux marchands de vins, il est presque indispensable aux aquarellistes. Pas d’eau! Ma foi, me dis-je, je vais faire mon aquarelle а l’eau de mer, je verrai ce que зa donnera.

 

«Cela donna une fort jolie aquarelle que j’offris а mon amie et qu’elle accrocha tout de suite dans sa chambre. Seulement.. tu ne sais pas ce qui arriva?

 

– Je le saurai quand tu me l’auras dit.

 

– Eh bien, il arriva que la mer de mon aquarelle, peinte avec de l’eau de mer, fut sensible aux attractions lunaires, et sujette aux marйes. Rien n’йtait plus bizarre, mon pauvre ami, que de voir, dans mon tableau, cette petite mer monter, monter, monter, puis baisser, baisser, baisser, les laissant а nu, graduellement.

 

– Ah!

 

– Oui… Une nuit, c’йtait comme aujourd’hui la plus forte marйe du siиcle, il y eut sur la cфte une tempкte йpouvantable. Orage, tonnerre, ouragan!

 

«Dиs le matin, je montai а la villa oщ demeurait mon amante. Je trouvai tout le monde dans le dйsespoir le plus fou.

 

«Mon aquarelle avait dйbordй: la jeune fille йtait noyйe dans son lit.

 

– Pauvre ami!»

 

Axelsen pleurait comme un veau marin.

 

«Et tu sais, ajouta-t-il, c’est absolument vrai ce que je viens de te raconter lа. Demande plutфt а Johanson.»

 

Le soir mкme, je vis Johanson, qui me dit que c’йtait de la blague.

 

La nuit blanche d’un hussard rouge (monologue pour cadet)

Je me suis toujours demandй pourquoi on nomme nuits blanches celles qu’on passe hors de son lit. Moi, je viens d’en passer une, et je l’ai trouvйe plutфt… verte.

 

Ce qui n’a pas empкchй mon concierge, quand je suis rentrй le matin, de me saluer d’un petit air… en homme qui dit:

 

«Ah! ah! mon gaillard, nous nous la coulons douce!»

 

Et pourtant… Mais n’anticipons pas.

 

Il faut vous dire que j’йtais amoureux depuis quelque temps.

 

Oh! amoureux, vous savez! … pas а pйrir. Mais enfin, lйgиrement pincй, quoi!

 

C’йtait une petite blonde trиs gentille, avec des petits frisons plein le front. Tout le temps elle йtait а la fenкtre, quand je passais.

 

А force de passer et de repasser, j’avais cru а la fin qu’elle me reconnaissait, et je lui adressais un petit sourire. Je m’йtais mкme imaginй – vous savez comme on se fait des idйes – qu’elle me souriait aussi.

 

C’йtait une erreur, j’en ai en la preuve depuis, mais trop tard malheureusement.

 

Je me disais: «Faudra que j ‘aille voir зa, un jour.»

 

En attendant, je m’informe, habilement, sans avoir l’air de rien.

 

Elle est mariйe avec un monsieur pas commode, paraоt-il, directeur d’une importante fabrique de mitrailleuses civiles.

 

Le monsieur pas commode sort tous les jours vers huit heures, se rend а son cercle, et ne rentre que fort tard dans la nuit.

 

«Bon, me dis-je, c’est bien ce qu’il me faut.»

 

Nous йtions dans les environs de la mi-carкme.

 

А l’occasion de cette solennitй, j’avais йtй invitй а un bal de camarades, costumй, naturellement.

 

On sait que j’ai beaucoup d’imagination; aussi tous les amis m’avaient dit: «Tвche de trouver un costume drфle.»

 

Et je me dйguisai, dиs le matin, en hussard rouge de Monaco.

 

Vous me direz qu’il n’y a pas de hussards rouges а Monaco; qu’il n’y a mкme pas du tout de hussards, ou que, s’il y en a, ils sont gйnйralement en civil.

 

Je le sais aussi bien que vous, mais la fantaisie n’excuse-t-elle pas toutes les inexactitudes?

 

Tout en me contemplant dans la glace de mon armoire (une armoire а glace), je me disais «Tiens, mais ce serait vйritablement l’occasion d’aller voir ma petite dame blonde. Elle n’aura rien а refuser а un hussard rouge d’aussi belle tournure.»

 

Le fait est, entre nous, que j’йtais trиs bien dans ce costume. Pas mal du tout, mкme.

 

Je dоne de bonne heure… Un bon dоner, substantiel, pour me donner des forces, arrosй de vins gйnйreux, pour me donner du… toupet.

 

Je boucle mon ceinturon, car j’avais un sabre, comme de juste, et me voilа prкt pour l’attaque.

 

En arrivant prиs de la maison de mon adorйe, j’aperзois le mari qui sort.

 

Bon, зa va bien… Je le laisse s’йloigner, et je monte l’escalier doucement, а cause des йperons dont je n’ai pas une grande habitude et qui sont un peu longs chez les hussards rouges.

 

Je tire le pied d’une pauvre biche qui sert maintenant de cordon de sonnette.

 

Un petit pas se fait entendre derriиre la porte. On ouvre. C’est elle… ma petite blonde. Je lui dis:

 

Au fait, qu’est-ce que j’ai bien pu lui dire?

 

Parce que, vous savez, dans ces moments-lа, on dit ce qui vous vient а l’esprit, et puis, cinq minutes aprиs, on serait bien pendu pour le rйpйter.

 

Mais ce que je me rappelle parfaitement, est qu’elle m’a rйpondu, d’un air furieux: «Vous кtes fou, monsieur! … Et mon mari qui va rentrer! … Tenez, je l’entends.»

 

Et v’lan! elle me claque la porte sur le nez.

 

En effet, quelqu’un montait l’escalier d’un pas lourd, le pas terrible de l’йpoux impitoyable.

 

Tout hussard rouge que j’йtais, je l’avoue, j’eus le trac.

 

Il avait un moyen bien simple de sortir de la situation, me direz-vous. Descendre l’escalier et m’en aller tout bкtement. Mais, comme l’a trиs bien fait remarquer un philosophe anglais, ce sont les idйes les plus simples qui viennent les derniиres.

 

Je pensai а tout, sauf а partir.

 

Un instant, j’eus l’idйe de dйgainer et d’attendre le mari de pied ferme.

 

«Absurde, me dis-je, et compromettant.»

 

Et l’homme montait toujours.

 

Tout а coup, j’avise une petite porte que je n’avais pas remarquйe tout d’abord, car elle йtait peinte, comme le reste du couloir, en imitation de marbre, mais quel drфle de marbre! un marbre de mi-carкme!

 

Dans ces moments-lа, on n’a pas de temps а perdre en frivole esthйtique.

 

J’ouvre la porte, et je m’engouffre avec frйnйsie, sans mкme me demander oщ j’entre.

 

Il йtait temps. Le mari йtait au haut de l’escalier.

 

J’entends le grincement d’une clef dans la serrure, une porte qui s’ouvre, une porte qui se ferme, – la mкme sans doute, – et je puis enfin respirer.

 

Je pense alors а examiner la piиce oщ j’ai trouvй le salut.

 

Je vous donne en mille а deviner le drфle d’endroit oщ je m’йtais fourrй.

 

Vous souriez… donc vous avez devinй!

 

Eh bien! oui, c’йtait lа, ou plutфt… ICI!

 

Doucement, sans bruit, je lиve le loquet, et je pousse la porte… Elle rйsiste.

 

Je pousse un peu plus fort… Elle rйsiste encore.

 

Je pousse tout а fait fort, avec une vigueur inhumaine. La porte rйsiste toujours, en porte qui a des raisons sйrieuses pour ne pas s’ouvrir.

 

Je me dis: «C’est l’humiditй qui a gonflй le bois!» Je m’arc-boute contre… le machin, et… han! Peine perdue.

 

Dйcidйment, c’est de la bonne menuiserie.

 

Une idйe infernale me vient… Si le mari, m’ayant aperзu d’en bas et devinant mes coupables projets, m’avait enfermй lа, grвce а un verrou extйrieur!

 

Quelle situation pour un hussard rouge!

 

Un soir de mi-carкme! Et moi qu’on attend au bal.

 

Non, non, ce n’est pas possible. J’йloigne de moi cette sombre pensйe.

 

Et pourtant la porte reste immuable comme un roc.

 

De guerre lasse, je m’assieds – heureusement qu’on peut s’asseoir dans ces endroits-lа – et j’attends. Parbleu! quelqu’un viendra bien me dйlivrer.

 

On ne vient pas vite. On ne vient mкme pas du tout.

 

Que mangent-ils donc dans cette maison?

 

Des confitures de coing, sans doute.

 

De la rue monte а mes oreilles le joyeux vacarme des trompes, des cors de chasse, des clairons, et puis – terrible! – le son des horloges, les quarts, les demies, les heures! …

 

Et le libйrateur attendu n’arrive pas. Tous ces gens-lа se sont donc gorgйs de bismuth aujourd’hui?

 

La prochaine fois que je reviendrai dans cette maison, j’enverrai un melon а chaque locataire.

 

De temps en temps, avec un dйsespoir touchant, je me lиve, et, faisant appel а toute mon йnergie, je pousse la porte, je pousse, je pousse!

 

Ah! pour une bonne porte, c’est une bonne porte!

 

Enfin, йpuisй, je renonce а la lutte. La poignйe de mon sabre me rentre dans les cфtes. Je l’accroche au loquet et je m’endors. Sommeil pйnible, entrecoupй de cauchemars. Le bruit de la rue s’est йteint peu а peu. On n’entend plus qu’un cor de chasse qui s’obstine hйroпquement dans le lointain.

 

Puis le cor de chasse va se coucher comme tout le monde…

 

Je me rйveille! … C’est dйjа le petit jour. Je me frotte les yeux et me rappelle tout. Mon sang de hussard rouge ne fait qu’un tour. Rageusement, je dйcroche mon sabre et le tire а moi…

 

Je n’ose vous dire le reste.

 

Imbйcile que j’йtais! double imbйcile! triple imbйcile! centuple idiot! multiple crйtin! J’avais passй toute ma nuit а pousser la porte…

 

Elle s’ouvrait en dedans! …

 






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