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La bonne fille






Ils habitaient tous les deux, elle et son pиre, une sorte de petite masure juchйe tout en haut de la falaise. L’aspect de cette demeure n’йveillait aucune idйe d’opulence, mais pourtant on devinait que ceux qui habitaient lа n’йtaient pas les premiers venus.

 

Nous sыmes bientфt par les gens du pays l’histoire approximative de ces deux personnes.

 

Le pиre, un gros vieux dйbraillй, а longs favoris mal entretenus, ancien mйdecin de marine, mangeait lа sa maigre retraite en compagnie de sa fille, une fille qu’il avait eue quelque part dans les parages des pays chauds, au hasard de ses amours crйoles.

 

Il faisait un peu de clientиle, pas beaucoup, car les paysans se dйfiaient d’un docteur qui restait dans une petite maison couverte de tuiles et tout enclйmatisйe, comme une cabane de douanier.

 

Pour une fille naturelle, la fille йtait surnaturellement jolie, belle, et mкme trиs gentille.

 

Aussi, au premier bain qu’elle prit, quand on la vit sortir de l’eau, la splendeur de son torse, moulй dans la flanelle ruisselante; quand, la gorge renversйe, elle dйnoua la forкt noire de ses cheveux mouillйs qui dйgringolиrent jusque trиs bas, ce ne fut qu’un cri parmi les plagiaires[6]:

 

– Mвtin! … La belle fille! …

 

Quelques-uns murmurиrent seulement: «Mвtin!»

 

D’autres enfin ne dirent rien, mais ils n’en pincиrent pas moins pour la belle fille.

 

Et ce spectacle se renouvela chaque jour а l’heure du bain.

 

Toutes les dames trouvaient que cette jeune fille n’avait pas l’air de grand-chose de propre; mais tous les hommes, sauf moi, en йtaient tombйs amoureux comme des brutes.

 

Un matin, mon ami Jack Footer, poиte anglais vigoureux et flegmatique, vint me trouver dans ma chambre et me dit, en ce franзais dont il a seul le secret:

 

– Cette fille, mon cher garзon, m’excite а un degrй que nul verbe humain ne saurait exprimer… J’ai conзu l’ardent dйsir de la possйder а brиve йchйance… Que m’avisez-vous d’agir?

 

– Ne vous gкnez donc pas!

 

– C’est bien ce que je pensais. Merci.

 

Et le lendemain, je rencontrai Footer, radieux.

 

– Puis-je faire fond sur votre discrйtion? dit-il.

 

– Auprиs de moi, feu Sйpulcre йtait un intarissable babillard.

 

– Eh bien! Carmen, car c’est Carmen qui est son nom chrйtien, Carmen s’est abandonnйe а mes plus formelles caresses.

 

– Ah! … Comme зa?

 

– Oui, mon cher garзon, comme зa! Elle n’a mis qu’une condition. Drфle de fille! Au moment suprкme, elle m’a demandй: «Кtes-vous pour encore longtemps sur ce littoral? – Jusque fin octobre, ai-je rйpondu. – Eh bien! promettez-moi, si vous tombez malade ici, de vous faire soigner par mon pиre; c’est un trиs bon mйdecin». J’ai promis ce qu’elle a voulu. Drфle de fille!

 

La semaine suivante, je me trouvais а la buvette de la plage quand advint Footer?

 

– Un verre de pale ale, Footer?

 

– Merci, pas de pale ale… Ce tavernier du diable aura changй de fournisseur, car son pale ale de maintenant ressemble а l’urine de phacochиre plutфt qu’а une honnкte cervoise quelconque.

 

En disant ces mots, Footer avait rougi imperceptiblement.

 

Je pensai: «Toi, mon vieux! …», mais je gardai ma rйflexion pour moi.

 

– Et Carmen? fis-je tout bas.

 

– Carmen est une jolie fille qui aime beaucoup son pиre.

 

Quelques amis, des peintres, entrиrent а ce moment et je n’insistai pas, mais fatalement la conversation tomba sur la damnante Carmen.

 

Footer ne parla avec un enthousiasme dйbordant et, comme un jeune homme йvoquait а cette occasion le souvenir de la Femme de feu de Belot, Footer l’interrompit brutalement:

 

– Taisez-vous, avec votre Belot! La Femme de feu de ce littйrateur n’est, auprиs de Carmen, qu’un pвle iceberg.

 

А ce mot, le jeune homme eut des yeux terriblement luisants.

 

C’йtait l’heure du dйjeuner. Nous sortоmes tous, laissant Footer et le jeune homme.

 

Que se dirent-ils? Je ne veux pas le savoir; mais, le lendemain, je rencontrai le jeune homme radieux.

 

– Ah! ah! mon gaillard, je sais d’oщ vous vient cet air guilleret.

 

Avec une louable discrйtion, il se dйfendit d’abord, mais avoua bientфt.

 

– Quelle drфle de fille! ajouta-t-il. Elle n’a mis qu’une condition, c’est que si je tombe malade ici, je m’adresserai а son pиre pour me soigner. Drфle de fille!

 

Il faut croire que cette petite scиne s’est renouvelйe а de frйquents intervalles, car le docteur, que j’ai rencontrй ce matin, est vкtu d’une redingote insolemment neuve et d’un chapeau luisant jusqu’а l’aveuglement.

 

– Eh bien, docteur, les affaires?

 

– Je n’ai pas а me plaindre, je n’ai pas а me plaindre. J’ai eu depuis quelque temps une vйritable avalanche de clients, des jeunes, des mыrs, des vieux… Ah! si je n’йtais tenu par la discrйtion professionnelle, j’en aurais de belles а vous conter!

 






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