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Un fait-divers






Jeudi dernier, les йpoux H… se rendaient au Thйвtre Montmartre pour assister а la reprйsentation du Vieux Caporal. Ils avaient laissй leur domicile sous la garde d’un petit chien fort intelligent qui rйpond au nom de Castor.

 

Si l’Homme est vйritablement le roi de la Crйation, le Chien peut, sans кtre taxй d’exagйration, en passer pour le baron tout au moins.

 

Castor, en particulier, est un animal extrкmement remarquable, dont les йpoux H… ont dit а maintes reprises:

 

– Castor? … Nous ne le donnerions pas pour dix mille francs! … quand ce serait le pape qui nous le demanderait!

 

Bien en a prix aux йpoux H… de cet attachement.

 

Ces braves gens n’en йtaient pas plus tфt au deuxiиme acte du Vieux Caporal, que des cambrioleurs s’introduisaient dans leur domicile.

 

Castor, occupй en ce moment а jouer au bouchon dans la cuisine, entendit le bruit, ne reconnut pas celui de ses maоtres (le pas, bien entendu), et se tapit dans un coin, l’oreille tendue.

 

Une minute plus tard, sa religion йtait йclairйe: nul doute, c’йtait bien а des cambrioleurs qu’il avait affaire.

 

А l’astuce du renard, Castor ajoute la prudence du serpent jointe а la fidйlitй de l’hirondelle. Seule la vaillance du lion fait dйfaut а ce pauvre animal.

 

Que faire en cette occurrence? Une angoisse folle йtreignait la gorge de Castor.

 

Aboyer? Quelle imprudence! Les malandrins se jetteraient sur lui et l’йtrangleraient, tel un poulet.

 

Se taire? S’enfuir? Et le devoir professionnel!

 

Une lueur, probablement gйniale, inonda brusquement le cerveau de Castor.

 

Sortant а pas de loup (ce qui lui est facile ataviquement, le chien descendant du loup), Castor se prйcipita vers une maison en construction, sise non loin du domicile des йpoux H… Saisissant dans sa gueule une des lanternes (йclairage Levent, ainsi nommй parce que la moindre brise suffit а son extinction), Castor revint en toute hвte vers le logement de ses maоtres.

 

La ruse eut tout le succиs qu’elle mйritait. Les cambrioleurs, apercevant de la lumiиre dans la piиce voisine, se crurent surpris et se sauvиrent par les toits (les cambrioleurs se sauvent toujours par les toits dиs qu’ils sont surpris).

 

Il serait impossible de rendre la joie de Castor а la vue de la rйussite de sa supercherie.

 

Quand ses maоtres rentrиrent, ils le trouvиrent se frottant encore les pattes de satisfaction.

 

Et il y a des gens qui disent que les bкtes n’ont pas d’вme! Imbйciles, va!

 

Arfled

Voilа seulement cinq ou six ans, j’йtais loin de la position brillante а laquelle je suis parvenu, beaucoup plus d’ailleurs par mon mйrite – quoi qu’en disent les imbйciles – que par les femmes. А cette йpoque, bien humble йtait ma tenue, insuffisantes mes ressources, indйlicats parfois mes modi vivendi, chimйrique mon mobilier, illusoire mon crйdit.

 

J’habitais alors un hфtel meublй, l’hфtel des Trois-Hйmisphиres, sis dans le haut de la rue des Victimes.

 

La clientиle de cet йtablissement se recrutait principalement dans le monde des cirques et des music-halls de l’univers entier.

 

J’y rencontrai des hommes-serpents de Chicago, des tйnors de Toulouse, des clowns de Dublin et mкme une charmeuse de serpents de Chatou.

 

J’adorais la patronne; c’йtait d’ailleurs une exquise patronne, blonde, un peu trop forte, plus trиs jeune, mais encore trиs fraоche, avec des yeux qui ne demandaient qu’а rigoler.

 

J’aimais beaucoup moins le patron, et, pour mieux dire, je l’abhorrais.

 

J’йtais en cela de l’avis d’Arfled.

 

Arfled? qui зa, Arfled? Comment, vous ne connaissez pas Arfled?

 

Anglais, trиs joli garзon, souple et fort, distinction exquise, possession incomplиte de la langue franзaise, mais qu’importe quand on a la mimique pour soi?

 

Situation sociale: clown au cirque Fernando.

 

– Arfled, lui dis-je un jour, quel drфle de nom vous avez!

 

Et il me raconta que, dans l’origine, il s’appelait Alfred, mais qu’un jour, ayant dйcoupй dans une йtoffe les lettres qui composent ce nom pour les appliquer sur un costume, la femme chargйe de cet ouvrage se trompa dans la disposition et les cousit ainsi: Arfled.

 

Ce nouveau nom lui plut beaucoup et il le garda.

 

Oh! non, Arfled n’aimait pas M. Pionce, le patron des Trois-Hйmisphиres.

 

Pourquoi? Je ne saurais l’assurer, mais je m’en doute.

 

L’affection qu’il aurait pu porter au mйnage Pionce s’йtait concentrйe, je suppose, tout entiиre et trop exclusive sur Mme Pionce.

 

Arfled йtait un garзon de goыt, voilа tout.

 

Deux fois par jour, Arfled constituait, pour la jolie Mme Pionce, un divertissement sans bornes.

 

Le matin, il descendait mettre sa clef au bureau de l’hфtel.

 

Mme Pionce s’y trouvait-elle seule, alors c’йtait sur toute la face d’Arfled un enchantement extatique. Ses yeux reflйtaient l’azur du septiиme ciel. Sa bouche s’arrondissait en cul-de-poule, comme le ferait une personne qui ressentirait une transportante saveur.

 

Et des compliments:

 

– Bonnjф, mйdйme Pionnce, comment pфtй-vф? Havй-vф passй le bonne nouite? Jamй, mйdйme Pionnce, jamй, vф йtiez plous jaфlie qu’aujфd’houi! Bonnjф, mйdйme, bonne appйtite!

 

Si, а l’heure de la descente, M. Pionce se trouvait lа, Arfled prenait une tкte de dogue hargneux. Il relevait le col de son pardessus, enfonзait son chapeau sur les yeux et poussait des grognements de mauvais bull.

 

Le soir, а la rentrйe, rйpйtition exacte des scиnes ci-dessus, selon que M. Pionce se trouvait lа ou pas.

 

Si bien qu’au seul aspect d’Arfled, Mme Pionce se sentait toute pвmйe de rire.

 

Un matin, Arfled trouva Mme Pionce en conversation avec un locataire.

 

– Et M. Pionce, disait l’homme, comment va-t-il?

 

– Pas mieux, je vais envoyer chercher le mйdecin.

 

La physionomie d’Arfled se convulsa et, sur le ton du plus cruel dйsespoir, il s’informa:

 

– M. Pionce, il йtй mйlйde?

 

– Mais oui, monsieur Arfled, il a toussй toute la nuit…

 

– Toutte lй nouitte? Aoh! aoh! Pauv’homme!

 

Et le soir, Arfled s’enquit avec une sollicitude touchante du rhume de M. Pionce.

 

– Je vous remercie, il va un peu mieux.

 

Arfled joignit les mains, leva les yeux au ciel:

 

– Aoh! Mкci, mon Diou, mкci!

 

Malheureusement le mieux ne se maintint pas. Le lendemain, aggravation, vйsicatoires.

 

Arfled faillit se trouver mal.

 

Le soir, un peu d’amйlioration.

 

Arfled tomba а genoux dans le bureau et entama un cantique d’action de grвces:

 

Thanks, my Lord! Thanks!

 

Malgrй son inquiйtude et sa peine, la pauvre Mme Pionce, mise en joie par cette comйdie, se tordait.

 

Ainsi se passa la semaine, avec des alternatives de mieux et de pire.

 

Un soir, Arfled rentrait.

 

Mme Pionce se trouvait dans le bureau de l’hфtel, entourйe de quelques personnes pleines de sollicitude.

 

Ses traits tirйs, ses yeux rouges indiquaient que cela n’allait pas mieux et que tout йtait peut-кtre fini.

 

Mais а la vue d’Arfled, а l’idйe de la tкte qu’il ferait en apprenant la fatale nouvelle, Mme Pionce oublia tout.

 

Elle se renversa dans son fauteuil, secouйe par une crise de rire.

 

Et ce ne fut qu’aprиs cinq minutes convulsives qu’elle put lui dire, d’une voix encore coupйe par des йclats d’hilaritй.

 

– Il… est… mort!

 






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