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Pиte-sec






– Ton ami Pиte-sec commence а devenir rudement rasant, affirma Trucquard en se jetant tout habillй sur son lit.

 

Rien n’йtait plus vrai: ce terrible Pиte-sec, lequel d’ailleurs n’avait jamais йtй mon ami, commenзait а devenir rudement rasant.

 

De son vrai nom, il s’appelait Anatole Duveau et йtait le fils de M. Duveau et Cie, soieries en gros (ancienne maison Hondiret, Duveau et Cie), rue Vivienne а Paris.

 

Pour le moment, il exerзait les fonctions de sous-lieutenant de rйserve dans la compagnie oщ j’йvoluais, pour ma part, en qualitй de rйserviste de deuxiиme classe (ce n’est pas la capacitй qui m’a manquй pour arriver, mais bien la conduite).

 

Dиs le premier jour, ce Duveau mйrita son sobriquet de Pиte-sec et fut notre bкte noire а tous.

 

Alors que les officiers de l’active se conduisaient а notre йgard comme les meilleurs bougres de la terre, lui, Pиte-sec, faisait une mousse de tous les diables et un zиle dont la meilleure part consistait а nous submerger de consigne, salle de police et autres apanages.

 

Ah! le cochon!

 

Comme nous n’йtions pas venus, en somme, а Lisieux pour coucher а la boоte, nous rйsolыmes, quelques rйservistes et moi, de mettre un frein а l’ardeur de ce soyeux en dйlire, et notre procйdй mйrite vraiment qu’on le relate ici.

 

Le colonel, ou plutфt le lieutenant-colonel, car la garnison de Lisieux ne comporte que le 4e bataillon et le dйpфt, avait autorisй а coucher en ville tous les rйservistes mariйs et accompagnйs de leur йpouse.

 

Bien que cйlibataire а cette йpoque (et encore maintenant, d’ailleurs), je dйclarai effrontйment кtre consort et j’obtins mon autorisation.

 

Inutile d’ajouter qu’une foule de garзons dans mon cas agirent comme moi, et si la Sociйtй des Lits Militaires avait tant soit peu de cњur, elle nous enverrait un joli bronze en signe de gratitude.

 

Le brave lieutenant-colonel avait ajoutй au rapport que les rйservistes couchant en ville devaient rйintйgrer leurs logements aussitфt aprиs la retraite sonnйe.

 

Cette derniиre clause, bien entendu, resta pour nous lettre morte.

 

L’exercice fini, on rentrait chez soi se livrer а des soins de propretй, aprиs quoi on dоnait. Et puis on tвchait vaguement de tuer la soirйe au concert du cafй Dubois ou а l’Alcazar (!) de la rue Petite-Couture.

 

D’autres se rendaient en des logis infвmes de la rue du Moulin-а-Tan, mais si c’est de la sorte que ces gaillards-lа se prйparaient а reprendre l’Alsace et la Lorraine, alors macache! comme on dit en style militaire.

 

Au commencement, tout alla bien: des officiers nous coudoyaient, nous reconnaissaient et nous laissaient parfaitement tranquilles. Mais voilа-t-il pas qu’un soir le terrible sous-lieutenant Pиte-sec s’avisa de faire un tour au concert.

 

Ce fut dиs lors une autre paire de manches. Nous ayant aperзus dans la salle, il nous invita, sans courtoisie apparente, а rompre immйdiatement si nous ne voulions pas attraper quatre jours.

 

Cette perspective dйcida de notre attitude: nous rompоmes.

 

Mais nous rompоmes la rage au cњur, et bien dйcidйs а tirer de Pиte-sec une йclatante vengeance.

 

Laquelle ne se fit pas attendre.

 

Quarante-huit heures aprиs cette humiliation, voici ce qui se passait au cafй Dubois, sur le coup de neuf heures et demie.

 

Pиte-sec entre et jette un regard circulaire pour s’assurer s’il n’y a pas d’ hommes dans le public.

 

Comme mы par la force de l’habitude, un jeune homme se lиve, porte gauchement la main а la visiиre de son chapeau (c’est une faзon de s’exprimer) et semble fourrй dans ses petits souliers.

 

L’њil de Pиte-sec s’illumine: voilа un homme en dйfaut!

 

– Qu’est-ce que vous foutez ici, а cette heure-lа?

 

– Mais, mon lieutenant…

 

– Il n’y a pas de mon lieutenant. Payez et rompez!

 

– Mais, mon lieutenant…

 

– Vous avez entendu, n’est-ce pas? Payez et rompez!

 

– Mais, mon lieutenant, je ne fais de mal а personne en prenant un grog et en entendant de la bonne musique avant d’aller me coucher.

 

– Vous savez bien que le colonel…

 

– Le colonel, Je m’en fous!

 

– Vous vous foutez du colonel!

 

– Oui, je me fous du colonel, et de toi aussi, mon vieux Pиte-sec!

 

C’en йtait trop!

 

Pиte-sec, suffoquй d’indignation, interpella deux sergents qui se trouvaient lа, en vertu de leur permission de dix heures:

 

– Empoignez-moi cet homme-lа et menez-le а la boоte!

 

Cet homme-lа acheva de boire son grog, rйgla sa consommation et dit simplement:

 

– Vous avez tort de me dйranger, mon lieutenant. Зa ne vous portera pas bonheur.

 

– Taisez-vous et donnez-moi votre nom.

 

– Je m’appelle Guйrin (Jules).

 

– Votre matricule?

 

– Souviens pas!

 

– Je vous en ferai bien souvenir, moi!

 

Les deux sous-officiers emmenиrent l’homme, pendant que Pиte-sec grommelait, indignй:

 

– Ah! tu te fous du colonel!

 

Le lendemain matin, ce fut du joli! En arrivant au poste Anatole trouva le sergent de garde en proie а la plus vive perplexitй:

 

– Mon lieutenant, qu’est-ce que c’est donc que ce civil que vous avez fait coffrer hier soir? Ah! il en a fait un potin toute la nuit! … Tenez, l’entendez-vous qui gueule?

 

Anatole avait pвli.

 

Diable! si l’homme d’hier n’йtait pas un rйserviste…

 

Prйcisйment, un caporal amenait le prisonnier.

 

– Ah! c’est vous mon petit bonhomme, s’йcria le captif, qui m’avez fait arrкter hier sans l’ombre d’un motif! Eh bien, vous vous кtes livrй а une petite plaisanterie qui vous coыtera cher!

 

Pиte-sec йtait livide:

 

– Vous n’кtes donc pas rйserviste?

 

– Ah зa, est-ce que vous me prenez pour un sale biffin comme vous? Je sors des Chass’d’Af’, moi!

 

– Vous me voyez au dйsespoir, monsieur…

 

– Vous m’avez arrкtй illйgalement et sйquestrй arbitrairement. Je vais de ce pas dйposer une plainte chez le procureur de la Rйpublique!

 

Pendant cette scиne des hommes s’йtaient attroupйs devant le poste, et un adjudant venait s’enquйrir des causes du scandale.

 

Pиte-sec versa rapidement dans l’oreille du sйquestrй quelques paroles qui semblиrent le calmer.

 

Ils s’йloignиrent tous deux, causant et gesticulant.

 

Au bout de quelques minutes, dans un petit cafй voisin, Pиte-sec tirait de sa poche un objet qui ressemblait furieusement а un carnet de chиques, en dйtachait une feuille sur laquelle il traзait de fiйvreux caractиres et regagnait la caserne oщ il ramassait immйdiatement huit jours d’arrкts, pour arriver en retard а l’exercice.

 

Le soir mкme, un fort lot de rйservistes, aprиs un copieux dоner en le meilleur hфtel de Lisieux, passaient une soirйe exquise au cafй Dubois.

 

On payait du champagne aux petites chanteuses, en exigeant toutefois qu’elles le dйgustassent aux cris mille fois rйpйtйs de: «Vive Pиte-sec!».

 

C’йtait bien le moins!

 

А partir de ce jour, le redoutable Pиte-sec devint doux comme un troupeau de moutons. On lui aurait taillй une basane en pleine salle du rapport qu’il n’aurait rien dit.

 

Il s’abstint strictement de frйquenter les endroits vespйraux de Lisieux.

 

Seulement, quand ses vingt-huit jours furent finis, qu’il rentra chez lui et qu’un personnel obsйquieux s’empressa:

 

– Bonjour, mon lieutenant! … Comment зa va, mon lieutenant? … Avez-vous fait bon voyage, mon lieutenant?

 

Mon lieutenant par-ci! Mon lieutenant par-lа!

 

Anatole Duveau s’йcria d’une voix sombre:

 

– Le premier qui m’appelle mon lieutenant, je le fous а la porte!

 






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