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Le langage des fleurs






Je conзois, а la rigueur, qu’un touriste ayant passй un siиcle ou deux loin d’un pays ne soit pas autrement surpris de trouver, а son retour, des dйcombres et des ruines oщ il avait jadis contemplй de somptueux palais; mais tel n’йtait pas mon cas.

 

Aprиs une absence de cinq ou six mois, je ne fus pas peu stupйfait de rencontrer, а l’un des endroits de la cфte qui m’йtaient les plus familiers, un manoir en pleine dйcrйpitude, un vieux manoir fйodal que j’йtais bien sыr de ne pas avoir rencontrй l’annйe derniиre, ni lа ni ailleurs.

 

Mon flair de dйtective m’amena а penser que ces ruines йtaient factices et de date probablement rйcente.

 

Le castel en question prйsentait, d’ailleurs, un aspect beaucoup plus ridicule que sinistre; tout y sentait le toc а plein nez: crйneaux йbrйchйs, tours dйmantelйes, mвchicoulis а la manque, fenкtres ogivales masquйes de barreaux dont l’йpaisseur eыt pu dйfier les plus puissants barreau mиtres; c’йtait complиtement idiot. Une petite enquкte dans le pays me renseigna tout de suite sur l’histoire de cette nйovieille construction et de son propriйtaire.

 

Ancien pйdicure de la reine de Roumanie, le baron Lagourde, lequel est baron а peu prиs comme moi je suis archimandrite, avait acquis une immense fortune dans l’exercice de ces dйlicates fonctions.

 

(Car au risque de dйfriser certaines imaginations lyriques, je ne vous cacherai pas plus longtemps que Carmen Sylva, а l’instar de vous et de moi, se trouve а la tкte de plusieurs cors aux pieds, et la garde qui veille aux barriиres du Louvre n’en dйfend pas les reines).

 

Le baron Lagourde (conservons-lui ce titre puisque зa a l’air de lui faire plaisir) est un gros homme commun, laid, vaniteux et bкte comme ses pieds, qui sont йnormes.

 

Sa femme, qu’il a ramenйe de la Bulgarie occidentale, prйsente l’apparence d’une petite noiraude mal tenue, mais extraordinairement adultйrine. Cette Bulgare de l’Ouest (ou Bulgare Saint-Lazare comme on dit plus communйment а Paris) trompe en effet son mari а jet continu, si j’ose m’exprimer ainsi, avec des cantonniers.

 

Pourquoi des cantonniers, me direz-vous, plutфt que des facteurs ruraux ou des attachйs d’ambassade? Mystиres du cњur fйminin!

 

La baronne adorait les cantonniers et ne le leur envoyait pas dire. Voilа pourquoi la route de Trouville а Honfleur fut si mal entretenue, cet йtй, quand eux l’йtaient si bien.

 

Le baron Lagourde s’йtait fixй l’annйe derniиre dans le pays; il y avait achetй une propriйtй admirablement situйe d’oщ l’on dйcouvrait un panorama superbe: а droite, la baie de la Seine; en face, la rade du Havre; а l’ouest, le large.

 

Sans perdre un instant, l’ex-pйdicure royal amйnagea sa nouvelle acquisition selon son esthйtique et ses goыts fйodaux.

 

En un rien de temps, le manoir sortit de terre; des ouvriers spйciaux lui donnиrent ce cachet d’antiquaille sans lequel il n’est rien de sйrieusement fйodal. Pour complйter l’illusion, de vrais squelettes chargйs de chaоnes furent gaоment jetйs dans des culs-de-basse-fosse.

 

Le baron eыt йtй le plus heureux des hommes en son simili Moyen Age sans l’entкtement du pиre Fabrice. Plus il insistait, plus le pиre Fabrice s’entкtait. On peut mкme dire, sans crainte d’кtre taxй d’exagйration, que le pиre Fabrice s’ostinait.

 

L’objet du dйbat йtait un prй voisin, pas trиs large, mais trиs long, qui dominait la fйodalitй du baron et d’oщ l’on avait une vue plus superbe encore, un prй qui pouvait valoir dans les six cents francs, bien payй. Lagourde en avait offert mille francs, puis mille cent, et finalement, d’offre en offre, deux mille francs.

 

– Зa vaut mieux que зa, monsieur le baron, зa vaut mieux que зa, goguenardait le vieux finaud en branlant la tкte.

 

Mais cette somme de deux mille francs fut l’extrкme limite des concessions et le baron ne parla plus de l’affaire.

 

Un jour de cet йtй, le chвtelain-pйdicure, grimpй sur l’une de ses tours, explorait l’horizon а l’aide d’une excellente jumelle Flammarion.

 

Tout prиs de la cфte, un yacht filait а petite vapeur: sur le pont, des messieurs et des dames braquaient eux-mкmes des jumelles dans la direction du castel et semblaient en proie а d’homйriques gaietйs. Ils se passaient mutuellement les jumelles et se tordaient scandaleusement.

 

Le baron Lagourde ne laissa pas que de se sentir lйgиrement froissй. Йtait -ce de son manoir que l’on riait ainsi?

 

Le lendemain, а la mкme heure, le mкme yacht revint, accompagnй cette fois de deux bateaux de plaisance dont les passagers manifestиrent, comme la veille, une bonne humeur dйbordante.

 

Tous les jours qui suivirent, mкme jeu.

 

Des flottilles entiиres vinrent, ralentissant l’allure dиs que le castel йtait en vue. А bord, les passagers paraissaient goыter d’ineffables plaisirs.

 

Les pкcheurs de Trouville, de Villerville, de Honfleur, ne passaient plus sans se divertir bruyamment.

 

Bref, tout le monde nautique de ces parages, depuis l’opulent Ephrussi jusqu’а mon grabugeux ami Baudry dit la Rogne, s’amusa durant de longues semaines, comme tout un asile de petites folles.

 

Trиs inquiet, trиs vexй, trиs tourmentй, le baron rйsolut d’en avoir le cњur net et de se rendre compte par lui-mкme des causes de cette hilaritй dйsobligeante.

 

Un beau matin, il frйta un bateau et, toutes voiles dehors, cingla vers l’endroit oщ les gens semblaient prendre tant de plaisir.

 

Au bout d’un quart d’heure de navigation, son manoir lui apparut, plus fйodal que jamais, et pas risible du tout. Qu’avaient-ils donc а se tordre, tous ces imbйciles!

 

Horreur subite! Le baron n’en crut pas ses yeux! La colиre, l’indignation, et une foule d’autres sentiments fйroces empourprиrent son visage. Il venait d’apercevoir… Йtait -ce possible?

 

Au-dessus de son manoir, et bien en vue, le prй du pиre Fabrice s’йtalait au soleil comme un immense drapeau vert, un drapeau sur lequel on aurait tracй une inscription jaune, et cette inscription portait ces mots effroyablement lisibles:

 

MONSIEUR LE BARON LAGOURDE EST COCU!

 

Le miracle йtait bien simple: cette vieille fripouille de pиre Fabrice avait semй dans son prй ces petites fleurettes jaunes qu’on appelle boutons-d’or en les disposant selon un arrangement graphique qui leur donnait cette outrageante et prйcise signification: le pиre Fabrice avait fait de l’ Anthographie sur une vaste йchelle.

 

Le baron Lagourde restait lа dans le canot, hйbйtй de stupeur et de honte devant la terrible phrase qui s’enlevait gaоment en jaune clair sur le vert sombre du prй.

 

– Monsieur le baron Lagourde est cocu! Monsieur le baron Lagourde est cocu! rйpйtait-il complиtement abruti.

 

Les rires des hommes qui l’accompagnaient le firent revenir а la rйalitй.

 

– Ramenez-moi а terre! commanda-t-il du ton le plus fйodal qu’il put trouver.

 

Il alla tout droit chez le maire.

 

– Monsieur le maire, dit-il, je suis insultй de la plus grave faзon sur le territoire de votre commune. C’est votre devoir de me faire respecter, et j’espиre que vous n’y faillirez point.

 

– Insultй, monsieur le baron! Et comment?

 

– Un misйrable, le pиre Fabrice, a osй йcrire sur son prй que j’йtais cocu!

 

– Comment cela? … Sur son prй?

 

– Parfaitement, avec des fleurs jaunes!

 

Heureusement que le maire йtait depuis longtemps au courant de l’excellente plaisanterie du pиre Fabrice, car il n’aurait rien compris aux explications du baron.

 

Tous deux se rendirent chez le diffamateur qui les accueillit avec une bonne grвce йtonnйe:

 

– Moi, monsieur le baron! Moi, j’aurais osй йcrire que monsieur le baron est cocu! Ah! monsieur le baron me fait bien de la peine de me croire capable d’une pareille chose!

 

– Allons sur les lieux, dit le maire.

 

Sur ces lieux, on pu voir de l’herbe verte et des fleurs jaunes arrangйes d’une certaine faзon, mais il йtait impossible, malgrй la meilleure volontй du monde, de tirer un sens quelconque de cette disposition. On йtait trop prиs.

 

(Ce phйnomиne est analogue а celui qui fait que certaines mouches se promиnent, des existences entiиres, sur des in-quarto sans comprendre un traоtre mot aux textes les plus simples).

 

– Monsieur le baron sait bien, continua le pиre Fabrice, que les fleurs sauvages, зa pousse un peu oщ зa veut. S’il fallait кtre responsable! …

 

– Et vous, monsieur le maire, grommela le baron, кtes-vous de cet avis?

 

– Mon Dieu, monsieur le baron, je veux bien croire que vous кtes insultй, puisque vous me le dites; mais en tout cas, ce n’est pas sur le territoire de ma commune, puisque l’inscription n’y est pas lisible. Vous кtes insultй en mer… plaignez-vous au ministre de la Marine!

 

Le baron fit mieux que de se plaindre au ministre de la Marine, ce qui eыt pu entraоner quelques longueurs.

 

– Allons vieille canaille, dit-il au pиre Fabrice, combien votre prй?

 

– Monsieur le baron sait bien que je ne veux pas le vendre, mais puisque зa a l’air de faire plaisir а monsieur le baron, je le lui laisserai а dix mille francs, et monsieur le baron peut se vanter de faire une bonne affaire! Un prй oщ que les fleurs йcrivent toutes seules!

 

Le soir mкme, l’essai d’anthographie du pиre Fabrice pйrissait sous la faux impitoyable du jardinier.

 

Maintenant, si j’ai un bon conseil а donner au baron Lagourde, qu’il n’essaye pas du mкme procйdй pour faire une blague au pиre Fabrice l’annйe prochaine.

 

Le pиre Fabrice a pour l’opinion de ses concitoyens un mйpris insondable.

 






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