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Le voyage de Mercier et Camier






De l'Irlandais Samuel Beckett, Maurice Nadeau disait, il y a vingt ans, qu'il
é tait «l'un des é crivains franç ais qui comptent le plus, pour beaucoup le plus
grand
». L'auteur de «Murphy» (1947), de «Molloy» (1951), d'«En attendant
Godnt» (1953), de «L'Innommable» (1953) a traduit, avec une insistance
implacable, le vide, le rien de la vie, thè me qu'avaient dé jà illustré les
existentialistes, mais d'une faç on qui respectait encore les lois du roman ou du
thé â tre. Avec Beckett, au contraire, on assiste au triomphe de l'anti-litté rature
pure, car le sentiment de né gation qui l'anime ne s'applique pas seulement
à tourner en dé rision l'espoir humain: il touche, il condamne, il frappe à mort
la forme litté raire elle-mê me.

Le voyage de Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car
j'é tais avec eux tout le temps.

Ce fut un voyage maté riellement assez facile, sans mers ni frontiè res
à franchir, à travers des ré gions peu accidenté es, quoique dé sertiques par
endroits. Ils restè rent chez eux, Mercier et Camier, ils eurent cette chance
inestimable. Ils n'eurent pas à affronter, avec plus ou moins de bonheur,


des mœ urs é trangè res, une langue, un code, un climat et une cuisine
bizarres, dans un dé cor n'ayant que peu de rapport, au point de vue de la
ressemblance, avec celui auquel l'â ge tendre d'abord, ensuite l'â ge mû r, les
avaient endurcis. Le temps, quoique souvent inclé ment (mais ils en avaient
l'habitude), ne sortit jamais des limites du tempé ré, c'est-à -dire de ce que
peut supporter, sans danger sinon sans dé sagré ment, un homme de chez
eux convenablement vê tu et chaussé. Quant à l'argent, s'ils n'en avaient pas
assez pour voyager en premiè re classe et pour descendre dans les palaces,
ils en avaient assez pour aller et venir, sans tendre la main. On peut donc
affirmer qu'à ce point de vue les conditions, leur é taient favorables,
modé ré ment. Ils eurent à lutter, mais moins que beaucoup de gens, moins
peut-ê tre que la plupart des gens qui s'en vont, poussé s par un besoin tantô t
clair, tantô t obscur.

Ils s'é taient longuement consulté s avant d'entreprendre ce voyage,
pesant avec tout le calme dont ils é taient capables les avantages et
dé savantages qui pouvaient en ré sulter, pour eux. Le noir, le rosé, ils les
soutenaient à tour de rô le. La seule certitude qu'ils tiraient de ces dé bats
é tait celle de ne pas se lancer à la lé gè re dans l'aventure.

Camier arriva le premier au rendez-vous. C'est-à -dire qu'à son arrivé e
Mercier n'y é tait pas. En ré alité, Mercier l'avait devancé de dix bonnes
minutes. Ce fut donc Mercier, et non Camier, qui arriva le premier au
rendez-vous. Ayant patienté pendant cinq minutes, en scrutant les diverses
voies d'accè s que pouvait emprunter son ami, Mercier partit faire un tour
qui devait durer un quart d'heure. Camier à son tour, ne voyant pas Mercier
venir, partit au bout de cinq minutes faire un petit tour. Revenu au rendez-
vous un quart d'heure plus tard, ce fut en vain qu'il chercha Mercier des
yeux. Et cela se comprend. Car Mercier, ayant patienté encore cinq
minutes à l'endroit convenu, é tait reparti se dé rouiller les jambes, pour
employer une expression qui lui é tait chè re. Camier donc, aprè s cinq
minutes d'une attente hé bé té e, s'en alla de nouveau, en se disant: peut-ê tre
tomberai-je sur lui dans les rues avoisinantes. C'est à cet instant que
Mercier, de retour de sa petite promenade, qui cette fois-ci ne s'é tait pas
prolongé e au-delà de dix minutes, vit s'é loigner une silhouette qui dans les
brumes du matin ressemblait vaguement à celle de Camier, et qui l'é tait en
effet. Malheureusement elle disparut, comme engloutie par le pavé, et
Mercier reprit sa station. Mais aprè s les cinq minutes en voie apparemment
de devenir ré glementaires il l'abandonna, ayant besoin de mouvement. Leur
joie fut donc pendant un instant extrê me, celle de Mercier et celle de Ca-
mier, lorsque aprè s cinq et dix minutes respectivement d'inquiè te


rnusardise, dé bouchant simultané ment sur la place, ils se trouvè rent face
à face, pour la premiè re fois depuis la veille au soir. Il é tait neuf heures
cinquante.

Soit:

Arr. Dé p. ait. Dé p. Arr. Dé p. Arr.

Mercier.... 9.05 9.10 9.25 9.30 9.40 9.45 9.50

Camier...... 9.15 9.20 9.35 9.40 9.50.

Samuel Bcckctt, Mercier et Camier






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