Le paysan de Paris chante
С 'est, a-t-on dit d'ARAGON, un homme pour qui le monde exté rieur existe, mê me quand il é crit des poè mes surré alistes; un homme qui veut ê tre pré sent dans le monde qu'il habite. Et c'est pourquoi on trouvera ici quelques-uns des plus beaux souvenirs qu'ait jamais laissé s, dans le cœ ur d'un poè te, l'amour de sa ville natale, dont l'a sé paré le destin.
Comme on laisse à l'enfant pour qu'il reste tranquille* Des objets sans valeur traî nant sur le parquet Peut-ê tre devinant quel alcool me manquait Le hasard m'a jeté des photos de ma ville Les arbres de Paris ses boulevards ses quais.
C'est un pont1 que je vois si je clos mes paupiè res La Seine y tourne avec ses tragiques totons2 О noyé s dans ses bras noueux comment dort-on C'est un pont qui s'en va dans ses loges de pierre Des repos arrondis en forment les festons.
Un roi de bronze noir à cheval le surmonte
Et l'î le qu'il franchit a double floraison
Pour verdure un jardin pour rosé s des maisons
On dirait un bateau sur son ancre de fonte
Que font trembler les voitures de livraison.
L'aorte5 du Pont-Neuf fré mit comme un orchestre Où j'entends pré luder le vin de mes vingt ans II souffle un vent ici qui vient des temps d'antan6 Mourir dans les cheveux de la statue é questre La ville comme un cœ ur s'y ouvre à deux battants.
Sachant qu'il faut pé rir les garç ons de mon â ge Mirage se leurraient d'une ville au ciel gris Nous derniers-né s d'un siè cle et ses derniers conscrits Les pieds pris dans la boue et la tê te' aux nuages Nous attendions l'heure H en parlant de Paris.
Quand la chanson disait tu reverras Paname8 Ceux qu'un œ illet de sang allait fleurir tantô t
Quelque part devant Saint-Mihiel ou Neufchâ teau9 Entourant le chanteur comme des mains de flamme Sentaient fré mir en eux la pointe du couteau.
Depuis lors j'ai toujours trouvé dans ce que j'aime Un reflet de ma ville une ombre dans ses rues Monuments oublié s passages disparus J'ai plus é crit de toi Paris que de moi-mê me Et plus qu'en mon soleil en toi Paris j'ai cru.
Afin d'y retrouver la photo de mes songes
Si je frotte mes yeux que le passé bleuit
Ainsi que je faisais à l'é cole a Neuilly
Un printemps y fleurit encore et se prolonge
Et ses spectres dansants ont moins que moi vieilli.
C'est Paris ce thé â tre d'ornbres que je porte Mon Paris qu'on ne peut tout à fait m'avoir pris Pas plus qu'on ne peut prendre à des lè vres leur cri Que n'aura-t-il fallu pour m'en mettre à la porte Arrachez-moi le cœ ur vous y verrez Paris10.
C'est de ce Paris-là que j'ai fait mes poè mes Mes mots ont la couleur é trange de ses toits La gorge des pigeons y roucoule et chatoie J'ai plus é crit de toi Paris que de moi-mê me Et plus que de vieillir souffert d'ê tre sans toi
Plus le temps passera moins il sera facile De parler de Paris et de moi sé paré s
Les nuages fuiront de Saint-Germain-des-Pré s Un jour viendra comme une larme entre les cils Comme un pont Alexandre-Trois blê me et doré.
Ce jour-là vous rendrez voulez-vous ma complainte A l'instrument de pierre où mon cœ ur l'inventa Peut-on dé raciner la croix du Golgotha Ariane" se meurt qui sort du labyrinthe Cet air est à chanter boulevard Magenta.
Une chanson qui dit un mal ingué rissable
Plus triste qu'à minuit la place d'Italie
Pareille au Point-dû -Jour pour la mé lancolie
Plus de rê ves aux doigts que le marchand de sable.12 Annonç ant le plaisir comme un marchand d'oublié s.
Une chanson vulgaire et doué e où la voix baisse Comme un amour d'un soir doutant du lendemain Une chanson qui prend les femmes par la main Une chanson qu'on dit sous le mé tro Barbes Et qui change à l'Etoile et descend à Jasmin.
Le vent murmurera mes vers aux terrains vagues II frô lera les bancs où nul ne s'est assis On l'entendra pleurer sur le quai de Passy
Et les ponts ré pé tant la promesse des bagues. S'en iront fiancé s aux rimes que voici.
Comme on laisse à l'enfant pour qu'il reste tranquille Des objets sans valeur traî nant sur le parquet Peut-ê tre devinant quel alcool me manquait Le hasard m'a jeté des photos de ma ville Les arbres de Paris ses boulevards ses quais**.
ARAGON. En é trange -pays dans mon -pays lui-mê me (1945). Примечания:
1. Новый мост, построенный при Генрихе IV. 2. Восьмиугольная юла. Здесь, оче- видно, Ses tragiques totons означают водовороты около моста. 3. Фестоны — волнооб- разные гирлянды из листьев и цветов. 4. Конная статуя короля Генриха IV. 5. Аор- та — артерия, отводящая кровь от сердца. 6. Из давних времен. 7. Час атаки (в войне 1914 — 1918 гг.). 8. Жаргонное название Парижа. Имеется в виду популярная солдат- ская песенка времен Первой мировой войны. 9. Города, через которые проходил фронт в 1918 г. 10. Парафраз известных слов английской королевы Марии Тюдор (1516 — 1558); умирая, она произнесла: " Если вскроют мое сердце, то увидят там имя Кале". Кале — последний французский город, остававшийся во владении англичан до 1558 г., когда он был отвоеван французами. 11. Ариадна, дочь критского царя Мино- са. Когда на Крит прибыл Тезей, обреченный на съедение чудовищу Минотавру, оби- тавшему в Лабиринте, Ариадна дала ему клубок ниток, с помощью которого он, убив Минотавра, сумел выйти из Лабиринта. Тезей увез с собой Ариадну, но потом бросил ее на острове Наксос. 12. Продавец песка — сказочный персонаж, который сыплет детям в глаза песок, чтобы они закрылись, и дарит им приятные сны. Les oublies — вафельные трубочки с кремом, очень популярное лакомство в первой половине наше- го века. У них есть еще одно название: les plaisirs. 13. Обручальные кольца.
Вопросы:
* Est-il besoin de dire que les annotations des poè mes contemporains reproduits dans ce livre ne pré tendent pas en donner toujours une. interpré tation dé finitive?
** On ne peut dire qu'il s'agisse ici d'un poè me purement surré aliste Montrez cependant ce qui le sé pare d'une piè ce purement classique.
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